Wednesday, July 28, 2010
Destination privilégiée de milliers de visiteurs : Tikjda, ou le succès à risque
Peut-on concilier tourisme de masse et protection de la nature ? C’est à cette question quasiment manichéenne que nous avons pour devoir d’apporter quelques débuts de réponse en ralliant la célèbre station climatique de Tikjda dans le Djurdjura.
Par pur hasard du calendrier, nous avons choisi un jour de semaine particulièrement chaud pour nous y rendre. Heureusement que, chemin faisant, l’altitude atténue quelque peu les rayons d’un soleil bien décidé à faire fondre l’asphalte ce jour-là. Passé les premiers contreforts de l’imposant Djurdjura, première halte sous des pins d’Alep, histoire d’apprécier le paysage offert par le lac Tilesdit dans la vallée. Première halte et premières déceptions en voyant les monceaux d’ordures dont des canettes et des bouteilles de bière qui jonchent le sol par centaines. Notre compagnon de route et guide de circonstance nous informe que plusieurs buvettes sauvages sont improvisées chaque soir sur cette route de montagne. Leurs propriétaires jouent au chat et à la souris avec les gendarmes pour continuer à servir des clients qui affluent ici autant pour la fraîcheur des lieux que celle des bières. Avant d’arriver au cœur de Tikjda, une odeur persistante de bois scié emplit l’air de senteurs fortement boisées. Sur le bord de la route, des ouvriers s’occupent à débiter de gigantesques troncs de cèdres calcinés. Apparemment, la montagne n’a pas fini de digérer les conséquences des incendies ravageurs des années 2001 et 2009 qui sont venus à bout d’une grande partie de la cédraie de Tikjda.
De nouvelles constructions
Direction le Centre national de sports et de loisirs (CNSLT) niché au milieu de la cédraie de Tikjda. Cette structure, qui est passée du ministère du Tourisme à celui des Sports, dispose de deux unités d’hébergement qui totalisent près de 200 lits. Elle dispose également d’une auberge de jeunesse d’une capacité de 50 lits qu’elle loue à raison de 1200 DA/jour aux associations et aux clubs qui viennent ici dans un cadre organisé. Pour le reste, si un week-end à Tikjda vous tente, comptez entre 3000 et 4000 DA la chambre single avec deux repas. M. Chebouti, l’assistant du DG en exploitation, nous apprend que l’affluence se fait particulièrement les fins de semaine et que la clientèle se compose surtout d’émigrés, de nouveaux mariés et de familles qui viennent chercher un peu de repos et de tranquillité. Le centre organise des randonnées pédestres ou en VTT, avec ses propres guides, ainsi que des soirées musicales avec barbecue en plein air. Les responsables du CNSLT comptent, d’ici quelque temps, acquérir des poneys et des mulets pour les randonnées en montagne. Juste en face du complexe, des ouvriers et des engins s’activent sur un grand chantier. Renseignement pris, il s’agit de construire des immeubles devant abriter, entre autres, une unité de la Protection civile, un centre pour le Parc national du Djurdjura (PND) et un écomusée. Il y a même, comble du raffinement cultuel, une mosquée dont les colonnes commencent à s’élever. Autant de structures et de monde dans un écosystème aussi fragile, n’y a-t-il pas de risque de grave déséquilibre ? Réponse de M. Chebouti : « Nous essayons de sensibiliser les clients à la préservation de la nature par la distribution de dépliants et par le biais d’affiches et de posters réalisés par le Parc national du Djurdjura. Nous mettons aussi en place des poubelles pour le ramassage des ordures. »
Les animaux victimes des nuisances sonores
De son côté, Haddad Saci, adjoint du chef du secteur de Tikjda, relevant du Parc national du Djurdjura, déplore qu’il n’y ait que 15 agents du PND pour couvrir les 4000 ha du secteur. « Avec l’incivisme bien connu de beaucoup de citoyens, ce chiffre de 15 agents est vraiment insignifiant », regrette-t-il. Lui, personnellement, pense que le tourisme de masse a toujours des côtés négatifs sur la préservation de la nature. Il entraîne des dégradations irréparables des milieux naturels par le fait de la pollution, de l’incivisme ou des incendies. « Il arrive que des gens ou des associations viennent nous demander des sacs-poubelle pour faire un volontariat de ramassage d’ordures », dit-il. Depuis sa réouverture en 2001, Tikjda a connu une courbe de popularité ascendante. Ce succès ne va pas sans de graves atteintes à l’environnement, dont le pic semble être cette décision de la wilaya de Bouira d’organiser un festival de musique. Il est vrai que c’est encore à l’état expérimental, mais des voix s’élèvent d’ores et déjà pour dénoncer l’initiative. Il n’est nul besoin d’être un expert de la faune et de la flore pour prendre conscience des ravages que peuvent causer des milliers de festivaliers et de touristes sur un écosystème en équilibre précaire. Les soirées musicales en plein air que le CNSLT organise et les nuits agitées du festival qui risque d’être pérennisé sont des nuisances sonores pour la faune. Les animaux sont dérangés, y compris la nuit. La forte pression démographique ne semble pas être prise en compte sur cette aire pourtant classée par l’Unesco, en 1997, réserve de biosphère.
Une piste olympique pour les vaches
Nous nous rendons sur le plateau d’Aswel, célèbre autant pour son gouffre que pour ses pelouses alpines. C’est ici que l’Etat, dans son infinie clairvoyance, a décidé de construire une piste olympique pour que nos athlètes puissent s’entraîner en altitude. Le choix semble bien judicieux puisque à notre arrivée, en guise d’athlètes en plein effort, c’est tout un troupeau de bovins qui rumine tranquillement sur cette piste qui a coûté plusieurs milliards aux contribuables. La très précieuse et onéreuse gomme qui orne la piste est couverte de bouse que les vaches déposent consciencieusement. Le stade est parfaitement clôturé mais comme il n’y a pas de portail, il continue de servir de zone pâturage comme au bon vieux temps. Nous abordons un petit groupe de bergers qui s’est réuni au bord de la route tout en gardant un œil vigilant sur leurs troupeaux qui paissent de l’autre côté de la route, non loin du gouffre. L’un d’eux nous informe que des coureurs solitaires et des athlètes en petits groupes s’aventurent quelquefois jusqu’ici pour quelques tours de piste, mais l’endroit est abandonné depuis longtemps. « Nous faisons du nettoyage et du gardiennage », ajoute son compagnon qui exhibe une carte de gardien de parking établi par sa commune. « Le week-end, ce sont 1000 à 1500 personnes qui débarquent ici », dit-il pour justifier cette vocation alternée de gardien de vaches et de voitures. Si tous ces pâtres se désolent de la construction d’un stade qui ne sert à rien sur leurs lieux d’estivage, ils regrettent également que les responsables du Parc national du Djurdjura leur interdisent de tenir boutique pour vendre des rafraîchissements aux touristes. Retour vers Tikjda et petite virée de l’autre côté de la station, vers l’ancien téléphérique. Niché au milieu des cèdres, le chalet du Kef en est à ses dernières retouches pour travaux de rénovation engagés depuis des mois. Des gardiens veillent sur ces lieux qui semblent renaître après des années d’abandon et de vandalisme. La structure va servir de siège à la Fédération algérienne de ski et de sports de montagne (FASM). L’un des gardiens apprend que le téléphérique, détruit par les terroristes durant les années de braise, va reprendre du service d’ici peu. Le moteur détruit va être remplacé.
Vendre de l’émotion ou de la consommation ?
Nous décidons de suivre le cours d’un ruisseau qui court au fond d’un ravin tout en bas de la route qui mène vers Tighzerth et le chalet du Kef. Au milieu des buissons et éboulis de roches. L’endroit est d’une fraîcheur très agréable, car la lumière du jour arrive tamisée par la canopée des cèdres aux troncs imposants. Au vu des traces de cendres et des restes de victuailles, il fait le bonheur des adeptes du pique-nique. Les ordures se sont accumulées tout le long du ruisseau qui coule en un murmure à peine perceptible. Reliefs de repas, bouteilles d’eau ou de jus en plastique, bouteilles de vin et bière, canettes, sachets en plastique, la civilisation du tout-jetable s’offre à voir dans toute sa décadence. La faune ne semble pas encore avoir déserté les lieux dont la sérénité n’est troublée que par les essaims de mouches et le chant des oiseaux. On peut encore apercevoir des libellules tournoyer comme de mini hélicoptères, quelques crapauds ou des grenouilles tapis au fond des mares ainsi que de petits crabes d’eau douce qui se dépêchent de se réfugier sous un galet. Pour combien de temps encore ? Dans un fascicule publié il y a quelques années, le Parc national du Djurdjura tirait la sonnette d’alarme, rappelant qu’il y a lieu d’empêcher la grande machine touristique (complexes) de détruire tout ce qui a une valeur. Le Parc rappelle également, à juste titre d’ailleurs, que les grands complexes comme celui de Tala Guilef et de Tikjda ne vendent rien de ce qui leur appartient. Ils vendent des paysages qui sont une œuvre collective des populations. Il souligne que le tourisme rural est un produit plus tourné vers l’émotion que vers la consommation. C’est peut-être là la clé du problème pour une station climatique qui change doucement de vocation : opter pour un écotourisme respectueux des milieux naturels au lieu d’un tourisme de masse qui piétine tout sur son passage. La survie de Tikjda est peut-être à ce prix.
Par Djamel Alilat
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