Alain Juppé en faveur d’une « fédération européenne »
L’information n’a pas eu le traitement qu’elle méritait, les médias ayant préféré s'arrêter à l'écume des choses (la petite phrase sur 2012), plutôt que de s'intéresser au fond. Pourant, l'affaire est d'importance et engage l'avenir du pays. Le numéro 2 du gouvernement et chef de la diplomatie française, Alain Juppé, s’est prononcé, hier, sur France 2 («Des paroles et des actes »), en faveur d’une« véritable fédération européenne ». C’est la première fois, à ma connaissance, qu’un membre du gouvernement français se rallie publiquement à l’idée fédérale, reconnaissant que cela impliquera des partages de souveraineté supplémentaires, un gouvernement européen et une solidarité financière forte : « on a déjà fait des progrès considérables dans cette direction », a-t-il d’ailleurs remarqué. Nicolas Sarkozy, le chef de l’État, qui se dit en privé favorable à un tel saut intégrateur, s’est toujours gardé d’employer publiquement ce mot politiquement explosif.
Juppé s’est livré à un plaidoyer passionné en faveur de l’Europe et de l’euro qui rompt avec la componction habituelle des politiques français sur le sujet, face à un Éric Zemmour de plus en plus insupportable, non pas par son europhobie, mais parce qu’il ne se comporte plus en journaliste, mais en militant pamphlétaire agressif. « Je suis profondément européen », a expliqué le ministre des Affaires étrangères qui a défendu bec et ongles la solidarité avec la Grèce.« L’avenir de la France, c’est l’Europe » dans un monde où la France seule pèse peu de chose face aux nouveaux colosses mondiaux que sont la Chine et l’Inde. « Quelle est l’alternative? », a-t-il lancé : une France isolée, repliée sur elle-même ? Une perspective que le responsable politique qu’est Juppé rejette : « laisser se défaire la zone euro serait une responsabilité lourde devant l’histoire ». C’est pourquoi« il faut tout faire pour sauver l’euro et le conforter », car sa disparition « serait une catastrophe pour la France ».
Ce n’est pas un hasard si les mots « fédération européenne » ont été employés par Juppé. Comme je vous l’ai expliqué sur ce blog, le débat politique en Allemagne a changé de nature depuis l’été et Berlin est désormais prêt à effectuer le saut fédéral qui est le seul moyen de conforter définitivement la monnaie unique. Le chef de la diplomatie française prend acte de cette évolution et y répond par avance favorablement. Cela semble indiquer que les discussions entre Paris et Berlin sont bel et bien engagées sur le sujet.
Il faut se rappeler, pour mesurer l’évolution française, qu’en 1994, le même Alain Juppé, déjà ministre des Affaires étrangères, mais d’Édouard Balladur, avait laissé sans réponse une proposition de fédération européenne rédigée par deux députés de la CDU, Karl Lamers et Wolfgang Schäuble, un camouflet que l’Allemagne n’a pas oublié. L’histoire passant rarement deux fois les plats, la France ne peut se permettre de négliger la main tendue allemande. Car cette fois, l’avenir de l’euro et de l’Union en dépendent.
Mr Jean Quatremer correspondant liberation
Mr Jean Quatremer correspondant liberation