L’ANGLETERRE REPOUSSE L’EURO
La décision a étonné certains de ses partenaires : l’Angleterre a osé dire non à l’euro, du moins dans les circonstances actuelles. Comment peut-on refuser une monnaie aussi unanimement appréciée par les marchés des changes ? Peut-être par amour de la liberté, ce qui permet à l’Angleterre de se porter mieux que ses voisins de la zone euro.
Des situations économiques divergentes
On disait Tony BLAIR plutôt favorable à l’euro, mais il a préféré repousser la décision d’adhésion à une date indéfinie et suivre son ministre des finances Gordon BROWN. Celui-ci a exclu officiellement une adhésion immédiate de la Grande-Bretagne à l’euro et s’est contenté d’ouvrir la porte à un éventuel référendum ultérieur, sans préciser une date.
Pour justifier sa décision, le chancelier de l’échiquier a présenté son évaluation des cinq critères économiques fixés en 1997 pour déterminer si l’euro était dans l’intérêt de la Grande-Bretagne. Le premier critère, le plus important sans doute, porte sur la convergence des cycles et des conjonctures économiques. On ne peut avoir des changes fixes et a fortiori une monnaie unique si les situations conjoncturelles sont trop différentes. Sinon, les ajustements se font par des variables réelles et en particulier par l’emploi.
Or les situations économiques sont effectivement sensiblement divergentes, sauf pour l’inflation où les situations sont assez proches : 2% dans la zone euro, 2,5% en Angleterre. Mais les divergences sont fortes pour la croissance. Celle-ci en 2002 a été de 0,8% en moyenne en Europe, alors qu’elle était d‘un point au dessus en Angleterre. En 2003, on prévoit 2% au moins en Grande-Bretagne, moins de 1% en Europe (et même une récession en Allemagne).
La divergence porte aussi, plus fortement encore, sur le taux de chômage. Selon les statistiques anglaises, il est à peine de 3,1% dans ce pays, et de 5,1% selon les statistiques harmonisées de l’OCDE. Pendant ce temps, la zone euro connaît 8,8% de chômeurs dans sa population active, et même sensiblement plus de 9% en France et en Allemagne. On comprend que l’Angleterre n’ait pas envie de s’arrimer à un ensemble à la conjoncture aussi médiocre, qui ne pourrait que l’entraîner vers le bas.
Une flexibilité plus grande, mais insuffisante
Ensuite, et cela rejoint le point précédent, le deuxième critère mis en avant par les Anglais est celui de la flexibilité : il faut que les économies soient assez flexibles pour que les chocs ou ralentissements de l’activité puissent être absorbés. Or cette flexibilité est très supérieure en Angleterre à ce qu’elle est sur le continent. C’est une évidence sur le marché du travail, avec la quasi-inexistence du salaire minimum, la flexibilité du salaire et la mobilité des travailleurs (les licenciements sont plus faciles, et de loin, que chez nous, donc les embauches y sont plus rapides). Ne parlons pas des dépenses publiques ou des prélèvements obligatoires : la situation anglaise est beaucoup moins figée.
Or qu'en concluent les Anglais ? Non pas qu’ils sont plus flexibles que nous -ce qui est vrai- mais qu’ils ne sont pas encore suffisamment flexibles à leurs yeux. Autrement dit, ils pensent que pour appartenir avec efficacité à une même zone monétaire, il faut que les ajustements se fassent le plus vite et le mieux possible : il faut être hyper-flexible. Les Anglais veulent aller plus loin dans ce domaine ; on pourrait inverser le raisonnement et en conclure que ce sont les Français ou les Allemands qui, étant donné leurs rigidités, n’auraient pas dû adhérer à la zone euro...
Le troisième critère porte sur l’investissement. L’adhésion du Royaume-Uni à la monnaie unique doit se traduire à long terme par un accroissement des investissements, publics ou privés, qu’ils soient étrangers ou britanniques. Ils considèrent que cette condition n’est pas réunie.
Quatrième critère : les services financiers : l’union monétaire doit améliorer la position compétitive du secteur des services financiers au Royaume-Uni, notamment à Londres. Sur ce point, le chancelier de l’échiquier considère que la condition est remplie, car les services financiers de la City sont largement compétitifs ; ouverts à la concurrence depuis longtemps, ils se sont renforcés.
Monnaie unique ou monnaie commune
Enfin, le dernier critère portait sur le fait que l’union monétaire devait avoir des effets positifs pour le taux d’emploi et la croissance économique, mesurés par les effets sur le commerce extérieur britannique et les différences de prix. Sur ce point, on ne voit pas ce que l’Euro pourrait amener de plus à l’Angleterre : sa politique monétaire actuelle préserve la stabilité des prix et l’absence de frontières douanières est un fait, avec ou sans euro, et favorise ainsi le commerce extérieur.
Le gouvernement britannique réexaminera la situation au printemps 2004 et verra si on peut donner une nouvelle évaluation de ces cinq critères. Ce qui fait la prospérité de la Grande Bretagne, c’est sa grande indépendance qui lui permet de mener des politiques libérales -même avec un gouvernement travailliste-. Ce qui fait son dynamisme, c’est la faiblesse des impôts et des dépenses publiques ou encore la flexibilité du marché du travail. Il n’y a pas besoin de l’euro pour cela.
On se souvient qu’au moment de la création de l’euro, les Anglais avaient refusé la monnaie unique, parce qu’elle constituait un monopole et que le monopole monétaire ne leur semblait pas plus attrayant que n’importe quel autre monopole. Ils avaient suggéré un solution différente, celle de la monnaie commune, qui aurait laissé aux consommateurs et aux épargnants le choix entre monnaies nationales et monnaie européenne, avec des changes flottants entre elles. Comme dans la concurrence monétaire préconisée par F. HAYEK, mais à un degré moindre puisqu’il s’agit de monnaies publiques, ce sont les phénomènes de confiance qui auraient peu à peu sélectionné la ou les bonnes monnaies. L’Europe n’a pas voulu de la concurrence, l’Angleterre ne veut pas du monopole de l’euro. Elle a plutôt choisi la liberté et, pour l’instant, cela lui réussit plutôt bien.