La Méditerranée en état de désunion
Andrea Canino, président du Mediterranean Business Council-EcoMed
Le deuxième sommet biennal des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union pour la Méditerranée prévu cette semaine en Espagne n'a pas eu lieu. Annulé bien avant le sérieux accident au large de Gaza. Théoriquement, il pourrait se tenir en novembre, mais les réunions ministérielles préparatoires, annulées ou stériles, permettent d'en douter.
Le projet promu par Nicolas Sarkozy et Henri Guaino pour relancer la coopération régionale était courageux. Il avait fait naître de vrais espoirs mais s'est effiloché avec le temps, alimentant surtout une affligeante prolifération de conférences creuses et autoréférentielles. Maintenant qu'il est en crise, l'Europe se retrouve à nouveau dans une impasse dans sa politique vers le Sud. Personne ne peut s'en réjouir.
Certes, au moment où les urgences sont le sauvetage de l'euro et l'assainissement de nos finances publiques délabrées, cette crise pourrait apparaître secondaire. Ce n'est pas le cas : l'objectif de développer, moderniser et intégrer le sud de la Méditerranée n'est pas une lubie "postcoloniale" mais, pour de multiples raisons, une priorité essentielle pour l'Europe et pour la France. En premier lieu à cause des risques liés à la persistance d'écarts économiques considérables entre les deux rives. En termes réels, le PIB par habitant des pays du Sud a diminué du 58 % par rapport au pic pétrolier des années 1980. A parité de pouvoir d'achat, le delta avec l'Europe est de 1 à 4 pour l'Algérie et la Tunisie, de 1 à 6 pour l'Egypte et la Jordanie et de 1 à 8 pour le Maroc et la Syrie. Réduire cet écart veut dire désamorcer des bombes à retardement telles que l'immigration clandestine, l'essor de l'intégrisme islamique et l'instabilité d'une région qui se trouve à une heure d'avion de nos côtes.
Mais cela est indispensable aussi à cause du potentiel représenté par un vrai codéveloppement méditerranéen. En 2050, le nombre d'habitants de notre Union restera inchangé, à 500 millions. Celui du sud de la Méditerranée augmentera de 50 % pour atteindre 320 millions de consommateurs. C'est une région dont le PIB croît en moyenne de 4-5 % par an. Il y a là des opportunités de croissance majeures pour les partenaires qui sauront les saisir. La Chine l'a compris et investi massivement dans la région.
Nous continuons à ne pas l'entendre, alors que la Méditerranée pourrait représenter une chance unique pour renforcer la compétitivité de nos entreprises, face à la concurrence américaine et asiatique. En faisant levier sur les liens profonds qui nous unissent et sur la complémentarité des ressources du Sud (main-d'oeuvre, énergie et matières premières) et du Nord (compétences de management, expertise technique et technologies avancées), l'Europe pourrait ainsi ajouter un point très précieux à son taux de croissance annuelle.
Pourquoi donc encore autant d'hésitations ? Pourquoi ne sommes-nous pas capables de réaliser au Sud ce que l'Allemagne a fait à l'Est, encaissant d'énormes dividendes pour son industrie ? Ne nous leurrons pas. Souvent invoquée comme la cause de tous les problèmes, la crise entre la Palestine et Israël n'est que l'arbre qui cache la forêt. Les vraies causes sont ailleurs. Elles s'appellent absence de confiance réciproque, visions bureaucratiques ou velléitaires, stériles compétitions entre pays européens concernés, carences notoires d'une partie du personnel politique, insuffisante ou mauvaise implication du secteur privé.
Valoriser le capital humain
Malgré ses succès indéniables, la politique européenne de voisinage ne suffit pas pour faire face à ces défis. Alors que le panorama institutionnel s'assombrit et que les moyens publics déjà insuffisants s'évaporent, il y a une seule voie d'issue possible : impliquer les entreprises privées. Il faut donc créer les conditions pour que le capital privé des deux rives s'investisse en Méditerranée. Pousser les entreprises à soutenir des idées abstraites conçues par des technocrates ne sert à rien. Il faut chercher à faire en sorte qu'elles proposent des projets capables de répondre à leurs priorités en termes de compétitivité. Puis créer un environnement spécifiquement favorable à la réalisation de ces projets, en termes de gouvernance et de soutien financier public. Sans sécurité et rentabilité acceptables, il n'y aura pas cet essor des investissements privés dont la région a tant besoin.
Le président de la Commission européenne m'a demandé de promouvoir, en étroite collaboration avec le commissaire chargé de la politique de voisinage, cette tentative. Nous sommes en train de travailler avec plus de 200 grandes entreprises des pays du pourtour méditerranéen, pour identifier et développer un ensemble cohérent de projets légitimes et rapidement réalisables. Nous chercherons de nouvelles sources de financement et des moyens de valorisation du capital humain. Mais nous ne sommes pas sûrs de réussir.
Car il est probable que notre travail sera entravé par des querelles politiques insensées ou par le cynisme d'intérêts nationaux mal compris. Ce serait irresponsable. Peu importe le label, l'essentiel est qu'en 2011 des projets privés-publics emblématiques et viables puissent être effectivement mis en chantier. Faute de quoi, le risque est réel que les relations euro-méditerranéennes se bloquent à nouveau pour dix ans.
Le Mediterranean Business Council-EcoMed regroupe les acteurs économiques de pays de la Méditerranée (Tunisie, Algérie, Maroc, Libye, Egypte, France, Italie, Espagne et Portugal).
Andrea Canino, président du Mediterranean Business Council-EcoMed
Le deuxième sommet biennal des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union pour la Méditerranée prévu cette semaine en Espagne n'a pas eu lieu. Annulé bien avant le sérieux accident au large de Gaza. Théoriquement, il pourrait se tenir en novembre, mais les réunions ministérielles préparatoires, annulées ou stériles, permettent d'en douter.
Le projet promu par Nicolas Sarkozy et Henri Guaino pour relancer la coopération régionale était courageux. Il avait fait naître de vrais espoirs mais s'est effiloché avec le temps, alimentant surtout une affligeante prolifération de conférences creuses et autoréférentielles. Maintenant qu'il est en crise, l'Europe se retrouve à nouveau dans une impasse dans sa politique vers le Sud. Personne ne peut s'en réjouir.
Certes, au moment où les urgences sont le sauvetage de l'euro et l'assainissement de nos finances publiques délabrées, cette crise pourrait apparaître secondaire. Ce n'est pas le cas : l'objectif de développer, moderniser et intégrer le sud de la Méditerranée n'est pas une lubie "postcoloniale" mais, pour de multiples raisons, une priorité essentielle pour l'Europe et pour la France. En premier lieu à cause des risques liés à la persistance d'écarts économiques considérables entre les deux rives. En termes réels, le PIB par habitant des pays du Sud a diminué du 58 % par rapport au pic pétrolier des années 1980. A parité de pouvoir d'achat, le delta avec l'Europe est de 1 à 4 pour l'Algérie et la Tunisie, de 1 à 6 pour l'Egypte et la Jordanie et de 1 à 8 pour le Maroc et la Syrie. Réduire cet écart veut dire désamorcer des bombes à retardement telles que l'immigration clandestine, l'essor de l'intégrisme islamique et l'instabilité d'une région qui se trouve à une heure d'avion de nos côtes.
Mais cela est indispensable aussi à cause du potentiel représenté par un vrai codéveloppement méditerranéen. En 2050, le nombre d'habitants de notre Union restera inchangé, à 500 millions. Celui du sud de la Méditerranée augmentera de 50 % pour atteindre 320 millions de consommateurs. C'est une région dont le PIB croît en moyenne de 4-5 % par an. Il y a là des opportunités de croissance majeures pour les partenaires qui sauront les saisir. La Chine l'a compris et investi massivement dans la région.
Nous continuons à ne pas l'entendre, alors que la Méditerranée pourrait représenter une chance unique pour renforcer la compétitivité de nos entreprises, face à la concurrence américaine et asiatique. En faisant levier sur les liens profonds qui nous unissent et sur la complémentarité des ressources du Sud (main-d'oeuvre, énergie et matières premières) et du Nord (compétences de management, expertise technique et technologies avancées), l'Europe pourrait ainsi ajouter un point très précieux à son taux de croissance annuelle.
Pourquoi donc encore autant d'hésitations ? Pourquoi ne sommes-nous pas capables de réaliser au Sud ce que l'Allemagne a fait à l'Est, encaissant d'énormes dividendes pour son industrie ? Ne nous leurrons pas. Souvent invoquée comme la cause de tous les problèmes, la crise entre la Palestine et Israël n'est que l'arbre qui cache la forêt. Les vraies causes sont ailleurs. Elles s'appellent absence de confiance réciproque, visions bureaucratiques ou velléitaires, stériles compétitions entre pays européens concernés, carences notoires d'une partie du personnel politique, insuffisante ou mauvaise implication du secteur privé.
Valoriser le capital humain
Malgré ses succès indéniables, la politique européenne de voisinage ne suffit pas pour faire face à ces défis. Alors que le panorama institutionnel s'assombrit et que les moyens publics déjà insuffisants s'évaporent, il y a une seule voie d'issue possible : impliquer les entreprises privées. Il faut donc créer les conditions pour que le capital privé des deux rives s'investisse en Méditerranée. Pousser les entreprises à soutenir des idées abstraites conçues par des technocrates ne sert à rien. Il faut chercher à faire en sorte qu'elles proposent des projets capables de répondre à leurs priorités en termes de compétitivité. Puis créer un environnement spécifiquement favorable à la réalisation de ces projets, en termes de gouvernance et de soutien financier public. Sans sécurité et rentabilité acceptables, il n'y aura pas cet essor des investissements privés dont la région a tant besoin.
Le président de la Commission européenne m'a demandé de promouvoir, en étroite collaboration avec le commissaire chargé de la politique de voisinage, cette tentative. Nous sommes en train de travailler avec plus de 200 grandes entreprises des pays du pourtour méditerranéen, pour identifier et développer un ensemble cohérent de projets légitimes et rapidement réalisables. Nous chercherons de nouvelles sources de financement et des moyens de valorisation du capital humain. Mais nous ne sommes pas sûrs de réussir.
Car il est probable que notre travail sera entravé par des querelles politiques insensées ou par le cynisme d'intérêts nationaux mal compris. Ce serait irresponsable. Peu importe le label, l'essentiel est qu'en 2011 des projets privés-publics emblématiques et viables puissent être effectivement mis en chantier. Faute de quoi, le risque est réel que les relations euro-méditerranéennes se bloquent à nouveau pour dix ans.
Le Mediterranean Business Council-EcoMed regroupe les acteurs économiques de pays de la Méditerranée (Tunisie, Algérie, Maroc, Libye, Egypte, France, Italie, Espagne et Portugal).
Andrea Canino, président du Mediterranean Business Council-EcoMed
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