Le recours à la monnaie scripturale (chèques ou cartes bancaires) pour tout paiement supérieur à 500 000 DA, préconisé par le gouvernement, semble être un moyen pour encourager la monétique, mais surtout pour lutter contre l’évasion fiscale. Cette dernière est estimée à plus de 200 milliards de dinars annuellement, soit l’équivalent de 3 milliards de dollars de perte sèche pour le Trésor public, selon l’Union générale des commerçants et artisans algériens (Ugcaa). Mais l’Etat a-t-il les moyens d’appliquer pareille décision au regard de la situation actuelle ? Pas si sûr, répondent les plus sceptiques, au moins pour une raison : le poids significatif et croissant du marché informel dans l’économie nationale. La monnaie fiduciaire, constituée de billets de banque et de pièces de monnaie, est l’instrument prédominant de paiement et représente plus de la moitié de la masse monétaire. Ainsi, le marché informel ne peut pas fonctionner avec des chèques, encore moins avec des cartes de crédit.
Depuis la libéralisation du commerce extérieur de l’Algérie, le marché informel, qui occupait jusqu’alors un rôle économique marginal de subsistance pour une fraction négligeable de la population, s’est développé dans une proportion inquiétante estimée aujourd’hui à 30% de la valeur du PIB. De plus, ce marché, qui a investi des sphères de plus en plus larges de la production et du commerce, exerce, au moyen de pratiques déloyales, une pression qui empêche le libre jeu de la concurrence et compromet la transparence du marché.
L’opacité des relations commerciales induites par le marché informel perturbe le marché et annule le rôle régulateur et arbitral des autorités de concurrence. Le taux de bancarisation est très faible (un Algérien sur cinq possède un compte, moins d’une agence pour 30 000 habitants). Or, il y a une plus grande transparence dans les transactions financières avec les cartes de crédit et de débit. La technologie monétique réduit l’influence de l’économie parallèle et fait entrer plus de taxes dans les caisses de l’Etat. Le gouvernement n’aura pas la tâche facile, d’autant plus qu’il n’a toujours pas réussi à gagner une autre bataille, celle des ventes sans facturation constatées par les brigades de contrôle des pratiques commerciales relevant du ministère du Commerce et qui se sont chiffrées à 60 milliards de dinars en 2009. Dans certains prestigieux établissements hôteliers, on refuse les chèques. Tout paiement doit être effectué en espèces que ce soit pour une nuitée, un repas ou autre dépense. « J’ai été, il y a quelque semaines, en mission à Ouargla, ma société m’a réservé dans un hôtel public avec réservation et bon de commande faxé à l’avance. Après un séjour d’une semaine, à ma surprise, le réceptionniste me réclame 45 000 DA de frais de séjour en pension complète en... espèce et a refusé le chèque ! Il a fallu que je me bagarre et fasse du chantage pour qu’il accepte enfin », témoigne un client. En fait, on exige le plus souvent un chèque certifié, car il a été constaté beaucoup de cas de factures impayées. Le développement du système de paiement et de la monétique, qui est considéré comme le maillon faible du secteur financier algérien, offre des perspectives favorables pour la bancarisation de masse.
Est-ce la renaissance du chèque ?
Le RTGS est opérationnel depuis début février 2006 et sert aux paiements électroniques interbancaires portant sur les grandes sommes dont le seuil minimum ne peut être inférieur à 1 million de dinars algériens. Le RTGS (Real Time Gross Settlements) est un système conçu pour les transferts interbancaires de gros montants et dans lequel chaque transaction est réglée sur une base brute et en temps réel, le règlement ayant lieu en même temps ou avant que l’instruction ne soit transmise au destinataire. Le système de paiement de masse permettra à la fois la dématérialisation des titres de créance et la compensation de créances réciproques. Il permettra une amélioration considérable des délais de paiement des chèques et un allégement de la charge de travail grâce à la dématérialisation des opérations. Il est vrai que l’Algérie entend rattraper son retard dans le domaine de la monétique, mais la bancarisation du secteur informel et la sécurisation des transferts, à travers leur traçabilité, constitue l’enjeu majeur pour le gouvernement. Concernant le développement des moyens de paiement et la monétique interbancaire, une série de mesures a été engagée par les pouvoirs publics à court terme. Ainsi, il est prévu notamment l’émission d’un million de cartes interbancaires et l’augmentation du nombre de distributeurs automatiques de billets pour atteindre 2000 unités avant fin 2010. Le chèque qu’on croyait moribond vient de renaître grâce à la nouvelle décision de payer les transactions dépassant les 500 000 DA par le moyen d’un chèque.
La sensibilisation des différents acteurs du marché et surtout les professionnels reste le défi majeur. Pourquoi la monétique ? Plusieurs arguments sont mis en avant pour répondre à cette question : pallier aux problèmes de certification des chèques pour les paiements, la substitution au paiement par espèce, se déplacer sans se soucier du cash, dématérialiser les échanges et promouvoir le paiement électronique. Cependant, la plupart des commerçants que nous avons rencontrés lors de notre enquête ont déclaré qu’ils n’acceptent pas le payement par chèque pour plusieurs raisons : la taille du commerce (petit), la majorité des clients a un salaire très moyen, l’utilisation du chèque pour le paiement n’est pas répandue et un manque de confiance du marchand envers les clients. Ceci dit, une réelle motivation des premiers concernés fait défaut et risque de conduire vers l’échec. K
Par Kamel Benelkadi
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