Thursday, January 20, 2011
Mr Xavier Darcos,diplomatie culturelle l’Institut français 2011
Xavier Darcos, au cœur de la diplomatie culturelle
Fabrice Madouas le jeudi, 20/01/2011
Ambassadeur pour l’action culturelle extérieure de la France, l'ancien ministre de l'Education préside le nouvel Institut français.
Créer pour la France l’équivalent du British Council. Il y a des années qu’on en parlait. C’est désormais chose faite : le 1er janvier est né l’Institut français. La loi sur l’action extérieure de l’État lui assigne une mission aussi claire que vaste : « La promotion et l’accompagnement à l’étranger de la culture française. » À sa tête, il fallait quelqu’un qui ait à la fois de l’entregent politique, l’expérience de notre diplomatie et « ne prenne pas Claudel pour une marque de fromage », résume avec humour l’intéressé, Xavier Darcos. Agrégé de lettres classiques, auteur d’une Anthologie historique de la poésie française qui vient de paraître aux Puf, nouveau secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques, il a été ministre de l’Éducation nationale, des Affaires sociales mais aussi de la Coopération et de la Francophonie.
Le réseau culturel français est l’un des plus denses au monde : 154 services de coopération et d’action culturelle au sein des ambassades, plus 144 centres et instituts à l’étranger, sans compter le millier d’Alliances françaises, associations de droit local dont beaucoup ont passé des conventions avec l’État.
Cependant, ce réseau, quelle que soit sa qualité, « souffre d’un manque de visibilité » qui handicape son action, résumait l’an dernier Bernard Kouchner, le prédécesseur de Michèle Alliot-Marie au Quai d’Orsay. La France a « besoin d’un dispositif plus cohérent et plus lisible, elle a besoin d’un instrument au service de sa diplomatie d’influence » : c’est l’Institut français.
Pourquoi la création de cet Institut ? La France conduit depuis longtemps une ambitieuse politique culturelle, mais il lui manquait un opérateur unique chargé d’en préciser les enjeux et d’en coordonner les acteurs, sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères. Le Royaume-Uni en a un : c’est le British Council. Pour l’Allemagne, c’est le Goethe-Institut. L’Institut français a donc été créé pour mettre en oeuvre la “politique culturelle d’influence” de notre pays. Son but est de soutenir la stratégie diplomatique de la France et d’en servir les intérêts par la culture.
Où devons-nous porter nos efforts dans le monde ? Dans quelles zones aujourd’hui gagnées par la culture américaine (ou chinoise, ou japonaise…) la France a-t-elle intérêt à renforcer son action ? Dans quels pays sommes-nous en concurrence dans le domaine audiovisuel ou du numérique ? Autant de questions préalables à l’action de l’Institut français dans le monde.
La convention d’objectifs et de moyens, que nous sommes en train de rédiger avec la Direction générale de la mondialisation, comportera d’ailleurs un préambule portant sur ces priorités géographiques.
Quelles sont-elles ? L’objectif, vous l’avez compris, est de renforcer notre action là où nous y avons intérêt. En Europe, évidemment. À terme, nous voudrions développer avec nos partenaires européens des stratégies culturelles communes, fondées sur une conception voisine de la culture. Il y a donc un travail important à conduire avec eux sur ce sujet. Il y aura aussi les “pays émergents”, dont l’économie croît rapidement : nous devons y faire valoir nos industries culturelles, notre expertise, notre langue, nos idées. Je n’oublie pas l’Afrique et les pays en développement de la francophonie, où la France est très présente. Et, bien sûr, les pays de l’Union pour la Méditerranée, notamment la Syrie qui en est une pièce très importante. C’est un projet cher au président de la République.
La France, puissance moyenne, a-telle encore des capacités d’influence culturelle ? Les États-Unis ont diffusé leur “way of life” en se fondant surtout sur le dynamisme de leur économie et leur force militaire. La démographie compte aussi… Deux réponses à votre observation : aucune puissance, si forte soit-elle, ne néglige aujourd’hui la diplomatie d’influence. Pékin, par exemple, multiplie les Instituts Confucius depuis 2004. L’administration Obama a mis au coeur de son action diplomatique ce qu’Hillary Clinton appelle le “pouvoir de l’intelligence” (smart power).
Bien d’autres États (je pense aux pays du Golfe, à Singapour, au Japon) implantent un peu partout des instituts conçus comme un moyen de diffuser, grâce à la culture, leurs valeurs, leurs idées sur la gouvernance ou sur leur vision de l’homme. Des visions souvent différentes, parfois antagonistes. Vous le savez : toutes les civilisations n’accordent pas à l’homme la même place. Chacun comprend qu’il y a dans cette concurrence culturelle des enjeux civilisationnels majeurs. La France – seconde partie de ma réponse – a évidemment sa place dans ce concert diplomatique. Elle a une tradition de présence culturelle par sa langue, par son droit, par sa conception des rapports entre l’homme et la nation… Il est à la fois logique et nécessaire qu’elle fasse fructifier cet atout au moment où la compétition économique s’avive.
La culture, c’est très vaste ! Dans quels domaines l’Institut français interviendra-t-il ? L’Institut assume les compétences qui étaient auparavant celles d’autres organismes, en particulier de CulturesFrance, dans les domaines du livre, du théâtre et de la musique, auxquels s’ajoutent l’audiovisuel, le numérique, le cinéma, plus l’organisation de débats d’idées, par exemple sur la gouvernance et sur le développement. J’y tiens beaucoup. À Moscou, où j’étais le mois dernier, j’ai fait se rencontrer des penseurs et des écrivains français, comme Edgar Morin ou Dominique Fernandez, avec des personnalités russes. Je me suis entretenu avec le ministre de la Culture, parfaitement francophone, qui comprend l’intérêt de ces rapprochements face aux offensives chinoise et américaine.
Il nous faut exporter la réflexion française en sciences humaines en exploitant tous les outils disponibles. Cela passe évidemment par le livre : nous lancerons un programme énergique en faveur des projets éditoriaux français, en accord avec le Centre national du livre. Mais nous allons aussi créer une plateforme numérique pour mettre en ligne des fictions, des débats et de grands entretiens, de sorte que nos instituts disposent, dans le monde entier, des ressources nécessaires à la diffusion de la pensée française. Ce ne sont que quelques-uns de nos projets !
De quels moyens disposez-vous ? Notre budget atteint 43 millions d’euros, deux fois celui de CulturesFrance. Il nous est garanti pendant trois ans. Nous avons donc les moyens d'agir dans un contexte budgétaire pourtant contraint. Je suis persuadé que la création de l’Institut permettra des économies d’échelle : en organisant une action de façon plus concentrée, nous serons plus efficaces.
De plus, l’Institut est un Epic, un établissement public industriel et commercial, ce qui nous autorise une activité lucrative. À ces ressources s’ajouteront les dons de mécènes désireux de soutenir l’action culturelle de la France à l’étranger : les entreprises accompagnent notre démarche.
Et les ressources humaines ? L’Institut emploie 150 personnes aujourd’hui, 200 à terme. Des professionnels de grande qualité, comme la directrice générale déléguée, Sylviane Tarsot-Gillery, qui a dirigé la Cité universitaire internationale, et la secrétaire générale, Laurence Auer, qui était auparavant à la tête de l’Institut culturel français à Londres.
Quels seront les rapports entre l’Institut français et les services culturels des ambassades ? L’Institut français doit, à terme, “chapeauter” l’ensemble des acteurs de notre réseau culturel. Cela, c’est l’objectif de la loi, mais on ne pourra l’atteindre que progressivement : les choses se feront en marchant.
Pour l’heure, nous allons tester la formule dans treize pays très différents, du Chili à la Syrie, en passant par l’Inde, la Serbie ou le Royaume-Uni, qui deviennent ainsi des priorités géographiques pour nous. Une chose est sûre : la diplomatie culturelle et d’influence ne réussira qu’avec le soutien des ambassadeurs et des réseaux qu’ils animent. Propos recueillis par Fabrice Madouas
Photo © Patrick Iafrate
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