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Commission européenne: "Commission européenne"

Friday, August 06, 2010

L'interview Mr le Premier Ministre Michel Rocard



Michel Rocard: «Sarkozy le paiera et il l’aura mérité»Pour l’ex-Premier ministre socialiste, le président de la République exacerbe les tensions, au risque de courir à la guerre civile
Marianne : Approuvez-vous le discours de Grenoble où le président de la République déclare son intention de déchoir de la nationalité française les citoyens d’origine étrangère qui attenteraient à la vie d’un policier ou de tout autre détenteur de l’autorité publique ?


Michel Rocard : Non, je ne l’approuve pas.





Non, résolument et totalement ?


M.R. : Non, résolument et totalement. Je condamne et la substance et le procédé. Mais d’abord, je voudrais vous parler de Marianne. Vous vous comportez, non comme des journalistes d’information pure, mais comme des acteurs politiques. C’est aux hommes politiques d’agir en politique. Ainsi, vous sollicitez de moi cette interview et je sais que, si je l’avais refusée, vous en auriez informé vos lecteurs. C’est une forme de chantage !





Pas le moins du monde, monsieur le Premier ministre. C’est le droit de savoir. Nous n’aurions probablement pas caché à nos lecteurs, dans un article, que vous, ou telle autre personnalité, n’avez pas souhaité répondre à nos questions. Ce n’est pas votre cas. Revenons à nos questions. Pourquoi, vous, dont on connaît la pensée tout en nuances, réprouvez-vous aussi radicalement ?


M.R. : C’est une question extrêmement grave. Vous savez, cela s’est trouvé ainsi, j’ai commencé ma carrière administrative au service des naturalisations. Nous étions chargés de dire, précisément à ces naturalisés d’origine étrangère, que la nationalité française leur était accordée pleinement, sans réserve et de façon irrévocable. Et voilà qu’on veut maintenant introduire une nouvelle catégorie de « citoyens d’origine étrangère ». Mais, si on veut en faire une loi, il faudra passer par le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel. Ils casseront forcément un texte contraire au droit.





Votre opposition paraît même plus virulente que celle du PS, auquel vous appartenez…


M.R. : Le PS, comme moi, n’aime pas exacerber les tensions. Autrement, c’est la guerre civile. La démocratie exige de nous des comportements mesurés. Agiter le chiffon rouge pour faire descendre des gens dans la rue, ce n’est pas appartenir à une démocratie pacifiée, à des institutions solides. Je sais bien que le président recherche d’abord les effets d’annonce. Cette loi ne verra jamais le jour. Mais ça ne change rien aux intentions. Et les intentions, je vous le dis comme je le pense, les intentions sont scandaleuses.





Vous dites que le président cherche la guerre civile, qu’il veut faire descendre les gens dans la rue…


M.R. : Je dis qu’il le paiera et qu’il l’aura mérité.





La gauche propose-t-elle une politique différente ? A-t-elle mené au pouvoir une autre politique ?


M.R. : Bien sûr que oui. J’ai contribué à concevoir la police de proximité, qui décrispe les relations avec la population dans les quartiers difficiles. Nous avons obtenu des résultats sensibles. La prévention, c’est une œuvre de longue haleine. J’ai été maire dix-huit ans durant. La prévention des crimes et délits était notre priorité. La répression, c’est l’échec de la prévention. Avoir supprimé la police de proximité, c’est dramatique. Et on le paie. La délinquance augmente et augmente. La politique du « tout répression » favorise les tensions, accroît la délinquance. Et pourquoi ? Parce qu’on donne priorité à l’électoral. C’est exécrable, scandaleux.



Vous faites ce procès à un gouvernement, à un président pour lesquels vous avez de la sympathie, que vous avez parfois soutenu, n’est-ce pas ?
M.R. : Je ne sais pas qui rapporte ces bruits. Je ne partage pas cette vision, présente au PS, d’opposition systématique, du refus de coopérer sur toute la ligne. Quand des confluences avec l’adversaire se dégagent, je m’en réjouis. Sur les pôles terrestres, nous ne divergeons pas et je suis ambassadeur chargé des Pôles. De même, j’ai une mission sur la taxe carbone. Quand il y a désaccord, comme cette fois-ci, je ne l’étouffe pas non plus. Si je suis indigné, je le dis aussi, vous le voyez bien.



C’est une indignation morale ?
M.R. : Je serai sec et sans bavure : c’est inadmissible. Mais le pire, c’est que ça ne marche pas. Il n’y a d’amélioration ni sur le plan de la sécurité ni sur celui de l’immigration. On peut faire de grands discours mais, dans la réalité, la marge de manœuvre est faible, aussi bien pour la droite que pour la gauche. Il faut bien savoir qu’en tout cas les progrès seront minimes. On ne va pas étaler une ligne de barbelés le long des frontières. On ne va pas dresser les chiens policiers à flairer les sans-papiers. On ne peut pas refuser tout le monde. Et les étudiants étrangers ? Beaucoup déjà vont ailleurs, et c’est une perte pour notre pays. On ne peut pas expulser à tour de bras n’importe qui. Seulement les discours changent en fonction des gens auxquels on s’adresse. Quand on va chercher l’électorat du Front national, voilà sur quels scandales on débouche. La loi sur les mineurs délinquants passe de la responsabilité pénale individuelle à la responsabilité collective. On n’avait pas vu ça depuis Vichy, on n’avait pas vu ça depuis les nazis. Mettre la priorité sur la répression, c’est une politique de guerre civile.

Retrouvez l'interview de Michel Rocard dans Marianne de cette semaine en vente à partir de demain, samedi 31 juillet, et jusqu’au 6 août inclus au prix de 2,50 euros. Vous pouvez également acheter la version numérique sur le site Relay (Mac et PC) et celui du Kiosque.fr (PC, Mac et Linux) dès aujourd'hui.

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