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Friday, October 01, 2010

Mr Redha Malek à “Liberté”


Par : Azzedine Bensouiah

“Le pétrole et le gaz, cela ne fait pas une nation”
Dans cet entretien, Redha Malek revient sur la récente célébration du 52e anniversaire du GPRA. Il s’étalera sur les objectifs de la Révolution et la nécessité de l’écriture de son histoire, loin des règlements de comptes, loin de la glorification aveugle et aveuglante.
La Révolution, encore et toujours. Une Révolution démocratique, parce que portée par tout un peuple, qui a forgé la personnalité algérienne et qui a permis à l’Algérie d’avoir une voix écoutée sur la scène internationale. Une Révolution qui se poursuit et que rien ne pourra arrêter, selon Redha Malek.

Liberté : L’Algérie vient de célébrer, dans une totale indifférence, le 52e anniversaire de la création du GPRA. Que vous inspire cette date ?
Redha Malek : La date de la création du GPRA marque la renaissance, la résurrection de l’État algérien qui a disparu en 1830. C’est cela la performance du FLN, de ceux qui ont écrit le 1er Novembre. J’insiste sur l’historicité. On parle des composantes de l’identité nationale, que sont l’Islam, l’arabité et l’amazighité, mais on ne parle pas assez de son historicité. Le peuple algérien a fait l’histoire. On n’avait pas un État, comme le Maroc ou la Tunisie. Chez nous, il n’y avait plus rien. Les Algériens ont refait la nation sous sa forme moderne. Elle s’est forgée dans cette guerre longue. Il fallait sortir de l’émiettement de l’État. Le GPRA avait son répondant sur le terrain, un contre-pouvoir. Le colonialisme était en reflux. La nouvelle allégeance des Algériens au “nidham” qu’est le FLN qui était omniprésent. L’allégeance tribale, l’allégeance confrérique, c’est terminé ! Il n’y a plus de régionalisme dans la Révolution. C’est cela la nation. Au-delà des appartenances tribales et confrériques, le FLN s’est imposé. Le génie de Abane Ramdane, c’est d’avoir ouvert le FLN à toutes les tendances (UDMA, ulémas). C’est ainsi que s’est reconstruite la nation algérienne. La Révolution avait atterri, le 19 septembre 1958, pour s’ériger en gouvernement provisoire de la République algérienne. Cela coïncidait avec le retour de De Gaulle au pouvoir en France. Ce dernier a eu vent de notre intention de créer le GPRA. Il a confié qu’il aurait aimé que nous attendions avant de le faire. Il croyait qu’avec son charisme, il pouvait inverser la donne. Or, l’Algérie avait choisi sa voie : l’indépendance. Le GPRA est une création révolutionnaire. La résurrection de l’État n’est pas la restauration de l’État d’avant 1830. On n’est pas revenu à 1830. On a un État qui dépasse le tribalisme, l’archaïsme. C’est une Révolution démocratique. Contrairement à Guy Mollet qui parlait de guerre de religion et de retour au Moyen-Âge. Nous lui avons montré ce que nous sommes.

Justement, dans votre dernier livre, vous disséquez cette période. Qu’est-ce qui fait que l’histoire de la Révolution demeure entourée de tabous ?
Cela dépend des auteurs. Il y avait une tradition de clandestinité dans la Révolution. Il y en a qui ont gardé cette tradition. Les langues commencent à se délier. Cependant, il ne faut pas tomber dans le dénigrement systématique, dont certains veulent profiter pour remettre en cause la Révolution. Il y a beaucoup de faiblesses dans notre Révolution. Il y a eu des choses inadmissibles. Mais il faut prendre la Révolution dans son ensemble. C’est une grande entreprise. Disséquer les faiblesses, mais il ne faut pas que cela devienne un prétexte pour dénigrer la Révolution. Il y en a qui ont nié son existence. D’autres disent que c’est un mythe. D’autres disent : “On ne sait pas ce que c’est.” D’autres disent que “c’est une jacquerie”. C’est une Révolution démocratique et populaire. D’où l’insistance sur la dénomination de l’État algérien : République algérienne démocratique et populaire. Ce sont les articles d’El Moudjahid qui ont préparé la voie. Déjà, pendant la guerre, certains ont voulu supprimer le vocable “Révolution”. En 1957, des membres du CCE voulaient qu’on évite de parler de Révolution, en nous contentant d’un seul objectif : chasser le colonialiste.
Les masses populaires ont beaucoup souffert, notamment dans les camps de regroupement. Trois millions de paysans ont été déportés de leurs terres. Même Michel Rocard en parle dans son livre et n’en revient pas. Lors des négociations d’Évian, Michel Tricot voulait qu’on mette sur le document “camps de regroupement”, alors que moi j’insistais sur “camps de concentration”. Il m’a confié que le mot était trop fort et qu’il allait se référer à ses supérieurs. Les masses algériennes étaient bouleversées et engagées dans la Révolution. C’est une Révolution antiféodale, anticoloniale. On a porté un sérieux coup au tribalisme. C’est le côté démocratique où l’on dépasse les survivances féodales. Ce n’est plus Abdelkader, ce n’est plus cheikh El-Haddad, qui étaient de grands combattants. Ce ne sont plus des notabilités tribales, comme El-Mokrani. Cette fois-ci, ce sont des militants professionnels qui sortent de l’OS. Ils ont eu une formation politique et avaient un sens du nationalisme. Ce sont des gens, inconnus à cette époque, qui ont lancé le mouvement. Jean El-Mouhoub Amrouch a dit “Algeria fara da se” (l’Algérie se fera d’elle-même). C’est une auto-genèse de l’Algérie, une auto-construction. En fait, c’est la reprise d’une idée de Garibaldi lorsqu’on a reconstruit l’Italie. La plateforme de la Soummam le dit clairement. Nous sommes nous-mêmes. Nous ne sommes pas la création de puissances étrangères. C’est pour ça que l’Algérie a un avenir extraordinaire. Elle a cette force qui va l’emporter, s’imposer. La presse américaine avait écrit “l’Algérie est indépendante et ne parle que pour elle-même”, au lendemain de la libération des 52 otages américains en Iran. Ce sont des détails qui ont leur signification. Quand les otages sont rentrés aux USA et devaient être reçus par le président Reagan, on m’a invité en tant qu’ambassadeur d’Algérie. J’ai dit que je ne pouvais pas assister parce que je représente l’Algérie, mais également les intérêts iraniens. Si jamais le président américain décide de s’attaquer à l’Iran, je serai dans une position délicate. Le lendemain, on m’a contacté pour me prier d’assister et me promettre que le président Reagan ne prononcerait pas un mot contre l’Iran. Il a tenu parole. Je dénonce ces néo-indigènes qui prennent au mot ce qu’on leur raconte pour trouver des allégeances à l’extérieur.

On a eu droit, jusque-là, à une histoire officielle, celle des appareils de l’État. Et on a eu des histoires écrites par des acteurs de cette époque qui, souvent, suscitent polémique, pour ne pas dire levée de boucliers. Est-ce si difficile, 50 ans après, de raconter la Révolution ?
Je crois que c’est aussi une capacité d’écrire. Il y a une certaine paresse intellectuelle, le “à-quoi-bon ?” Si les acteurs avaient une capacité d’écrire, ils l’auraient fait. Mais, pour écrire l’Histoire, il faut avoir de la cohérence. Il faut qu’il y ait une réflexion. Cela va venir. Cela commence à venir. Le jeune Medjaoui, étudiant en médecine, engagé au FLN, vient de faire un livre, j’en ai fait la préface. Les langues se délient. Les historiens doivent se mettre au travail pour exploiter la matière grise. C’est une maladie de vouloir régler des comptes sur le dos de l’Histoire. Charles-André Julien, historien de l’Afrique du Nord, m’a confié que la Révolution algérienne lui a dessillé les yeux. Sa vision a complètement changé. “Si j’avais le temps, je réécrirais l’histoire sous une autre optique”, m’a-t-il confié. Il faut réécrire l’Histoire algérienne dans une vision plus objective. Le travail de l’Histoire est nécessaire. Tout le monde est interpellé pour écrire l’Histoire récente avec les survivants. Avant 1830, c’est le trou. On ne connaît rien. Quant aux dernières huit années de guerre, les historiens professionnels doivent rassembler ces matériaux afin d’enseigner à nos enfants. L’État n’a pas fait grand-chose et se contente de faire des commémorations.

L’Histoire de la Révolution occupe l’essentiel de vos écrits. Vous la placez même avant le pétrole et le gaz, pour situer la place de l’Algérie. L’engagement de l’Algérie au sein du Mouvement des non-alignés, son soutien à l’autodétermination des peuples, en somme ses principes inspirés de sa Révolution, ne sont-ils pas la cause de ses soucis sur la scène internationale ?
Il ne suffit pas d’avoir du gaz et du pétrole. Cela ne fait pas une nation. Ce qui fait une nation, ce sont les hommes. “Un pays sans argent est un pays pauvre, mais un pays sans principes est un pauvre pays”, disait Tallayrand. Si on se laisse aller, les étrangers vont nous prendre notre pétrole sous notre nez. C’est une question d’existence. Ce sont ces principes (Révolution, Non-Alignés, soutien à l’autodétermination des peuples) qui font la grandeur de l’Algérie. Il y a un capital sur le plan international. C’est un or. Sinon, vous croyez que les autres vont s’adresser à vous ? C’est notre rayonnement international, notre influence internationale. Être pour les causes justes, ce ne sont pas des slogans. Mandela avait appris chez nous. Bani Sadr, Kotb Zada avaient des passeports algériens. On a pu apporter des contributions de qualité, comme pour la session extraordinaire de l’ONU consacrée au nouvel ordre économique mondial, sur proposition de l’Algérie. Les indépendances des pays africains sous domination portugaise ont été signées à Alger. Les premiers ministres portugais et espagnols séjournaient tout le temps à Alger. Jusqu’en Amérique latine, on recevait des opposants chiliens, brésiliens. Nous ne sommes pas intégristes, mais nous avons soutenu la révolution iranienne. C’était, à nos yeux, un moyen de sortir de la dictature du Chah. Voilà comment on défendait nos principes. Abdelaziz Bouteflika a réussi à exclure l’Afrique du Sud (raciste) de l’ONU, au nom de la Révolution algérienne. Il a fait asseoir Yasser Arafat à l’ONU, au nom de la Révolution algérienne. Nous soutenons le Polisario, parce que c’est une cause juste.
C’est dur, surtout pour nos relations avec nos frères marocains. Ce n’est pas pour un morceau de terrain que nous le faisons, c’est pour nos principes. Quand je suis arrivé à Moscou, pour représenter l’Algérie, l’ambassadeur du Mexique m’a invité à dîner. À la fin, il m’a présenté sa fille qui s’appelait “Algeria”. Elle avait dix ans et elle était née le jour de l’indépendance de l’Algérie.

Dans votre dernier livre, vous évoquez également la période post-indépendance, avec un regard critique sur les dérapages de l’État, mais surtout concernant la substitution de l’alternative démocratique par une “contre-révolution” exécutée par le courant islamiste. Pourquoi, selon vous, l’alternative démocratique peine-t-elle à s’imposer ?
Ce n’est pas une fatalité. La Révolution est tombée entre des mains qui n’ont pas compris et qui se sont laissées aller à des situations dangereuses, telles que la corruption et la fraude électorale. Cela engendre l’opposition, la “fitna” et l’intégrisme. Ce dernier profite de la situation. L’Algérie a failli devenir un nouvel Afghanistan, s’il n’y avait pas une reprise en main par l’armée et les forces éclairées. Cela aurait pu entraîner la Tunisie, le Maroc et même l’Égypte. L’intégrisme avait choisi l’Algérie comme base de départ et d’expansion dans l’Afrique du Nord. Cet intégrisme s’est développé grâce à l’Occident. Les USA avaient besoin des intégristes pour chasser les Soviétiques d’Afghanistan. Au retour, Américains et Européens ont renvoyé l’ascenseur aux intégristes et fermé les yeux lorsque les “Afghans arabes” retournaient chez eux pour commettre leurs attentats. L’Algérie était isolée dans la lutte antiterroriste et c’est grâce à elle que l’Afrique du Nord a été épargnée. Quand j’étais au gouvernement, j’ai agi. Quand j’ai vu que les Iraniens étaient devenus le nid du FIS, on a rompu nos relations avec eux. Avec les Français, j’ai convoqué leur ambassadeur pour protester contre la sortie en France d’un bulletin qui donnait chaque semaine le bilan des attentats. Trois jours après, ils ont fermé le local et ont interdit le bulletin. Nous étions isolés, mais nous luttions. Certains écrivains français avaient écrit des livres pour préparer leur opinion publique à l’arrivée du FIS au pouvoir.
MM. Mitterrand et Dumas pensaient que les islamistes allaient prendre le pouvoir. En 1992, j’avais posé le problème aux Américains, à Washington, en tant qu’envoyé du président Boudiaf, quant au sort des “Afghans arabes” restés là-bas et qui se préparaient pour faire un malheur dans leurs pays respectifs. Ben Laden finançait le FIS à partir du Soudan. Les slogans du FIS, notamment “La mtihak, la doustour, kal Allah, kal Arrassoul” (ni Charte ni Constitution, Dieu a dit, le Prophète a dit), étaient rédigés par Ben Laden et récités dans nos rues. Nous l’avons dénoncé en 1992. Nous n’avons pas attendu le 11 septembre. La Révolution algérienne a acquis une expérience qui permet d’être invulnérable à ces menés intégristes. Le FIS a voulu faire comme le FLN de la libération. On ne peut pas imiter le FLN héroïque de la Révolution. La démocratie est une notion très difficile à appliquer dans nos sociétés. La Révolution ne s’arrête pas en 1962. Il y a un fléchissement. Il y a un certain nombre de principes et de repères qui restent valables pour sortir le pays de cette situation. Ce livre s’adresse aux jeunes. La démocratie s’enracine dans notre Révolution. Elle a donné deux choses : libération de l’individu de la brume médiévale, et la justice sociale. Les Français ont tout pris. Ils ont dépossédé les Algériens. Cette réfection de la nation s’est faite sur la base des masses populaires. La justice sociale est bien ancrée. Quel que soit le système économique, il faut respecter un minimum de justice sociale. Cela fait partie du code génétique des Algériens. La modernité, ce n’est pas seulement de la théorie (liberté d’opinion, liberté d’expression). Cela ne suffit pas si elle ne vient pas des citoyens qui doivent participer à cette démocratie. La Révolution a donné le coup d’envoi. Le ferment est toujours là pour agir. Cela demande énormément de travail.

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