Wednesday, August 25, 2010
Mr Issad Rebrab. PDG du groupe Cevital Pour plus de transparence et de moralisation en économie»
«Pour plus de transparence et de moralisation en économie»
Dans cette interview accordée à notre journal El Watan, le PDG du groupe Cevital, Issad Rebrab, a décortiqué la palette des projets montés par son groupe dans divers secteurs d'activité.
- Le groupe Cevital se distingue actuellement par la multiplication des projets d'investissement tous azimuts. Le groupe a le vent en poupe, n'est-ce pas ?
L'entreprise est une dynamique, elle doit toujours se remettre en cause et assurer sa croissance, car comme le dit l'adage, «celui qui n'avance pas recule» et dans le cas d'une entreprise, si elle n'avance pas, elle peut même disparaître. La croissance d'une entreprise peut se faire par une intégration à la verticale ou par une diversification à l'horizontale et parfois les deux à la fois. Dans notre cas, nous avons pu faire passer le pays du stade d'importateur à celui d'exportateur de beaucoup de produits : huile, sucre, margarines et verre plat. Une fois cela réalisé, l'intégration verticale par la création ou l'acquisition de business à l'étranger ne nous a pas été possible faute d'autorisations de transfert de capitaux jamais accordées par la Banque d'Algérie, alors que la loi sur la monnaie et le crédit prévoit ces transferts. Vous voyez donc qu'il n'y a pas d'investissement tous azimuts, mais une stratégie de diversification horizontale adoptée par le groupe Cevital pour ces raisons-là, et qui s'est avérée très opportune puisque nous sommes dans un pays où tout est à construire.
Par ailleurs, nos investissements ont tous été faits en réponse à un besoin existant sur le marché national d'abord, puis pour l'exportation, une fois les besoins nationaux satisfaits. Autre élément que nous prenons en compte, bien évidement : la rentabilité d'un projet qui est la finalité de tout investissement. Le groupe Cevital a effectivement investi dans des créneaux diversifiés allant de l'agro-industrie aux services et manufactures, puis aux industries primaires avec notamment un projet de sidérurgie que je considère comme un juste retour du groupe à son métier originel.
- Quels sont les projections de croissance de votre groupe et vos projets à court et à moyen termes ?
Dans l'ensemble, le groupe enregistre un bon score de croissance à deux chiffres et a comme objectif de continuer à être à l'écoute de nos consommateurs, de répondre à leurs attentes et d'exploiter encore la marge de croissance que peuvent donner certaines activités. Pour cela, nous misons sur une politique soutenue de ressources humaines et sur l'investissement technologique pertinent.
Il faut néanmoins savoir que les objectifs de croissance ne dépendent pas que de facteurs endogènes. L'environnement externe est un élément important qui agit sur la performance des entreprises. C'est pourquoi le groupe Cevital est actuellement en train de travailler avec les pouvoirs publics pour mieux asseoir la collaboration et permettre de plus grandes facilitations à la réalisation de nos projets.
Quelle analyse faites-vous de l'engagement de l'Algérie avec l'Union européenne dans le domaine de l'exportation qui vous concerne ?
Je pense que la décision de l'Algérie de procéder à une évaluation objective du chemin parcouru par l'Accord d'association avec l'Union européenne est une bonne fenêtre qui permettra d'envisager dans de meilleurs termes le partenariat avec l'UE. Pour notre part, nous sommes présents sur le marché de l'exportation vers l'Europe et nous souhaitons que cette nouvelle démarche de notre pays constitue un cadre approprié pour nous accompagner dans notre quête de nouveaux marchés, par notamment l'appui de nos multiples demandes pour l'obtention de quotas d'exportation de sucre blanc raffiné de qualité, répondant aux normes internationales, vers l'Europe, dans le cadre de la réciprocité et à l'instar de ce que d'autres pays ont obtenu.
- Vous êtes leaders dans la production et la commercialisation de certains produits de large consommation, particulièrement le sucre et l'huile de table. Les pouvoirs publics estiment qu'il y a une espèce de monopole sur le marché. Quel est votre avis à ce sujet et quels sont vos objectifs dans ce domaine ?
Je pense que le terme monopole est juridiquement qualifié ; c'est le fait de réserver, d'autorité, une activité ou un marché à une entreprise à l'exclusion des autres. Est-ce le cas pour les segments d'activité que vous citez ? Pour l'huile, le marché national est couvert à 300% par 11 raffineries et pour le sucre à 200% par 5 raffineries. Bien plus, je vous dirais qu'il y a une féroce concurrence sur ces marchés, qui oblige certains producteurs, notamment sur le marché de l'huile de table, à faire dans le dumping, comme le fait par exemple cette marque étrangère récemment installée sur le marché algérien.
Ceci étant, le groupe Cevital est effectivement leader sur les créneaux de l'huile, du sucre et sur d'autres segments aussi, parce que le consommateur considère que les produits Cevital sont les meilleurs en qualité et en prix, confirmant ainsi la pertinence de nos choix économiques, technologiques et marketing.
- Y a-t-il des contraintes auxquelles sont confrontés vos projets en Algérie ?
Effectivement, tout projet peut rencontrer deux niveaux de contraintes. D'abord celles liées au contexte micro-entreprise ; à ce niveau, notre principale contrainte reste la ressource humaine qualifiée ; le groupe Cevital se lance dans une politique de formation et de qualification. Nous avons beaucoup travaillé avec les universités algériennes et nous comptons justement lancer un projet de formations qualifiantes pour répondre à nos différents besoins.
Il y a, d'un autre côté, les contraintes dues à l'environnement. Je pense que nos projets n'avancent pas au rythme souhaité dans la mesure où nous ne sommes pas encore arrivés à mettre la souplesse et la réactivité nécessaires dans les mécanismes de gestion de l'accompagnement de l'investissement. Je vous dis cela en pensant, par exemple, aux lenteurs que subit le projet de sidérurgie déposé il y a plus deux ans et qui attend toujours les autorisations nécessaires, ou encore le projet de réalisation d'une usine de trituration de graines oléagineuses à Béjaïa, tributaire de la réalisation d'une extension sur la mer pour laquelle nous avons eu les accords du Conseil national de l'investissement depuis décembre 2006 ; les études d'impact réalisées dans ce cadre ont été soumises à Mme la ministre déléguée chargée de la Recherche scientifique, en sa qualité de chargée de la coordination de ce dossier, qui les a transmises au ministère de l'Industrie, et depuis aucune suite.
Le même Conseil national de l'investissement nous a accordé, en 2006, l'autorisation de réaliser un quai au port de Béjaïa ; fort de cela, nous avons réalisé toutes les études, mais au moment de lancer les travaux, les responsables du port de Béjaïa ont reçu injonction de ne pas nous autoriser à les démarrer. Ce quai est destiné à une meilleure gestion de nos importations et de nos exportations et à atténuer les lenteurs et contraintes que nous rencontrons, notamment dans les opérations d'exportation, et ce, malgré tout la bonne volonté des responsables du port de Béjaïa. Cette situation nous a coûté, pour le premier semestre de cette année, pas moins de 400 millions de dinars de surestaries.
Je pourrais vous citer également le cas de nos investissements dans le domaine de la grande distribution, qui butent sur l'absence d'assiettes foncières, pour vous dire que l'investissement requiert une collaboration soutenue et transparente entre les opérateurs et les pouvoirs publics pour réunir les conditions nécessaires.
- Le Forum des chefs d'entreprises (FCE) n'a pas hésité à afficher son mécontentement quant aux contrecoups que subissent les patrons depuis l'entrée en vigueur des dispositions de la LFC 2009, dont les mesures liées à l'institution du crédoc comme seul moyen de paiement des importations. Les réserves du FCE avaient provoqué les foudres du gouvernement et du patronat public, qui s'est retiré aussitôt du FCE. Quelle est votre position, en tant que chef d'entreprise d'abord, et en tant que membre important au sein du FCE ?
Je suis effectivement membre du FCE et, en ma qualité de chef d'entreprise, j'ai déjà eu à dire que j'appuyais toute mesure qui viserait la protection du consommateur algérien et de l'économie nationale. De même que je suis partisan d'une plus grande transparence et d'une moralisation des pratiques économiques et commerciales de l'entreprise. Donc, si les mesures prises sont bonnes pour le pays, elles ne peuvent qu’être bonnes pour l'entreprise. On peut néanmoins avancer qu'au niveau de l'élaboration, ce genre de mesures gagnerait, à mon sens, à faire l'objet d'un débat préalable, élargi à toutes les parties concernées, notamment les opérateurs économiques. D'une part, cela aidera à une meilleure pertinence des décisions et permettra de prendre en charge les spécificités de certains créneaux d'activité. Et, d'autre part, le débat permettra un surcroît de transparence et une plus grande contribution à la moralisation des entreprises.
- Vous semblez engagé avec des firmes européennes dans une réflexion appelée Désertec qui vise à développer les énergies renouvelables dans le Sud algérien afin d'exporter, à terme, de l'électricité vers le continent européen. Le gouvernement algérien serait opposé à cet ambitieux projet. Pouvez-vous nous éclairer sur l'émergence de cette idée et la situation actuelle du projet ?
Le projet est au stade de l’étude et je ne suis pas au courant d'une opposition ferme et officielle du gouvernement algérien. Désertec vise à la fois à répondre en grande partie aux besoins des pays producteurs d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient et à fournir 15% (dans un premier temps) de l'électricité nécessaire à l'Europe.
Le projet Désertec repose sur le principe que chaque kilomètre carré de désert reçoit annuellement «une énergie solaire équivalent à 1,5 million de barils de pétrole. La surface totale des déserts sur la planète entière fournirait plusieurs centaines de fois l'énergie utilisée actuellement dans le monde». De plus, j'ai lu et entendu beaucoup de dissertations sur les implications stratégiques de ce projet dans les relations entre le nord et le sud de la Méditerranée. Je m'en tiens encore aux conditions de sa faisabilité, car je suis convaincu que, d'une part, l'Algérie y gagnera beaucoup, et que, d'autre part, l'avenir est aux énergies renouvelables. Le projet a besoin d'un grand espace et l'Algérie a un immense désert. 3% de la surface du Sahara peuvent couvrir 100% des besoins de l'Europe et de l'Afrique du Nord en énergie électrique.
Nous comptons lancer une usine intégrée de panneaux solaires à couche mince pour une production annuelle qui se situera entre 500 et 1000 mégawatts, destinés au marché national et à l'exportation. D'autant que la consommation nationale d'électricité est en constante progression avec des prévisions de 5 à 7%, ce qui est déjà assez important, que le programme des réalisations en ce domaine semble connaître quelques lenteurs et que, de toute manière, le consensus semble se faire sur la nécessité de compter dorénavant sur les énergies renouvelables. D'après nos prévisions, nous serons compétitifs par rapport aux énergies fossiles vers 2015. Notre objectif est de produire de l'électricité avec de l'énergie solaire et de permettre ainsi d'économiser les hydrocarbures, de les orienter vers d'autres usages et aussi de tirer profit de la vente des crédits carbone. Il faut bien souligner la dimension stratégique de ce projet, car nous voulons nous inscrire dans la perspective des grands défis qui se poseront à la planète durant les prochaines décennies, à savoir la question de l'eau, de l'alimentation, du réchauffement climatique et enfin des énergies. La population mondiale, actuellement estimée à 6,5 milliards d'individus, augmentera de 50% d'ici 2050. Seules les énergies renouvelables, dont une grande partie d’énergie solaire, pourront soutenir cet accroissement.
De surcroît, les énergies renouvelables, réputées propres, contribueront à la solution du problème du réchauffement climatique et par leur abondance aideront également à surmonter le déficit de la planète en ressources hydriques, notamment en stimulant le dessalement de l'eau de mer, car il faut savoir que 80% du prix du dessalement est dû aux coûts en énergie. Et, in fine, en surmontant la crise de l'eau, la planète pourra facilement faire face aux problèmes d'alimentation.
- Quelle est votre appréciation sur le concours du marché financier algérien à la réalisation de vos projets ?
La bonne santé financière du groupe Cevital est un de ses avantages concurrentiels qui lui permettent surtout de compter sur ses propres ressources pour le financement de ses projets. Cette force vient d'une situation financière saine, avec un endettement insignifiant et des comptes régulièrement certifiés à l'issue d'audits périodiquement effectués par un cabinet de réputation internationale.
Donc en premier lieu, le groupe Cevital compte sur ses propres ressources financières ; je dois vous dire à ce sujet que la quasi-totalité des cash-flows générés par les différentes filières du groupe est systématiquement réinvestie. Nous avons également la possibilité de financement sur le marché national, pour cela les banques nous accompagnent sans grand problème au regard de notre solvabilité et de la transparence et de la certification de nos comptes. Le recours au marché international des capitaux est une autre voie possible pour les investissements de grande envergure, les banques internationales sont prêtes à nous accompagner sans aucun problème. Le groupe Cevital ne rencontre pas de contraintes de financement particulière, mais adopte tout de même une politique de rigueur et de prudence qui exclut le recours systématique à l'endettement.
Ali Titouche
Subscribe to:
Post Comments (Atom)
No comments:
Post a Comment