RELATIONS AFRIQUE-France : Nice, le tournant ?
Les rideaux sont tombés au 25e sommet Afrique-France à Nice. Ce sommet présenté comme celui du renouveau a permis aux cinquante et une délégations africaines représentées et leur hôte, la France, d’échanger sur un large éventail de sujets. Au-delà des symboles, la France, qui cherche à retrouver sur le continent une position économique de plus en plus contestée par la Chine, a promis d’être l’avocate des Africains dans leurs revendications d’avoir une place dans la gouvernance mondiale et la recherche de financements pour lutter contre le réchauffement climatique. Alors, Nice constituera-t-il le tournant de la Françafrique contestée ?
Le 25e sommet Afrique-France, qui s’est tenu les 31 mai et 1er juin à Nice, a été riche en symboles. D’abord, la « photo de famille » pour la clôture. Nicolas Sarkozy, en choisissant de s’entourer de trois chefs d’Etat dont un seul, le Camerounais Paul Biya, aux côtés de deux anglophones : Jacob Zuma, président de l’Afrique du Sud, la locomotive du continent, de Meles Zenawi, Premier ministre de l’Ethiopie (pays disposant de l’un des plus forts taux de croissance du continent, environ 10 % par an) et de Bingu Wa Mutharika, président en exercice de l’Union africaine, il a voulu transmettre le message que « la France parle à toute l’Afrique », pas seulement à ses anciennes colonies.
L’autre symbole fort, ce sont ces paroles de Jacob Zuma, en clôture du sommet : « Times have changed » (Les temps ont changé).
Bref, autant de signes qui montrent, d’après beaucoup d’analystes, que la France, en perte de vitesse sur le continent face à la concurrence chinoise - des pays émergents d’une manière générale -, souhaite reconquérir un rôle diplomatique et pousser ses entreprises. Et pour cela, il ne faut négliger personne. Sauf quelques exceptions, notamment le président soudanais, Omar el-Béchir, à qui Paris a clairement fait savoir qu’il n’était pas le bienvenu et Andry Rajaolina qui, contrairement aux autres dirigeants de régimes putschistes (Niger, Guinée), n’a pas encore réussi à mettre la transition sur les bons rails. Il faut ajouter aussi à cette « short-list » Laurent Gbagbo, le président ivoirien, qui a décliné l’invitation en raison d’une vieille querelle.
Pour le reste, même le rwandais Paul Kagamé, qui était en brouille avec Paris depuis novembre 2006 et, par la suite, a choisi de faire adhérer son pays au Commonwealth, a tenu a rendre à Sarkozy la pièce de sa monnaie, trois mois après la visite de ce dernier à Kigali, visite qui a scellé la réconciliation entre les deux pays.
L’autre élément marquant de ce 25e sommet Afrique-France, le premier pour Sarkozy, c’est la présence des représentants de 150 entreprises africaines et 80 françaises. Là aussi une première.
Un signe qui ne trompe guère, du reste. Car dans l’esprit du président français, la nouvelle relation franco-africaine, le « renouveau » comme il l’appelle, doit non seulement dépasser les simples raisons historiques et se tourner vers l’avenir - donc intégrer la nouvelle donne -, mais aussi s’appuyer sur une relation économique mutuellement bénéfique car, d’après sa formule inspirée « sur l’échec de l’Afrique se construira le désastre de l’Europe et sur le succès de l’Afrique se construira la croissance, la stabilité et le succès de l’Europe ». Mais qui mieux que Laurence Parisot, la présidente du Medef, pour exposer les termes de la « nouvelle relation » fondée sur la « contribution du monde des affaires » ?
« Les entreprises veulent s’inscrire au cœur d’une nouvelle relation avec l’Afrique », a-t-elle déclaré, annonçant la création d’une « association des patronats de France et d’Afrique ».
Tant mieux si ce nouveau partenariat est « gagnant-gagnant ». En tout cas, c’est de « partenaires » dont l’Afrique a besoin, « pas de maître », a déclaré Paul Kagamé dans la presse française en marge du sommet. Et dans ce cadre, naturellement, la France a sa place, comme, du reste, les autres (Chine, Brésil, Inde, Etats-Unis, etc.). L’Afrique a tout à y gagner. Bien évidemment, aujourd’hui, il ne s’agit plus de jouer l’Occident contre le Communisme pour obtenir le maximum, comme à l’époque de la guerre froide, mais de profiter pleinement de toutes les opportunités qu’offrent les différents partenaires.
Si la France comprend et accepte cette nouvelle donne, tant mieux. Pour l’Afrique, le défi est de faire en sorte que ces partenariats puissent servir enfin son développement au profit des populations. Et non pas seulement au profit de certaines « élites prédatrices » que dénonce l’historien sénégalais, Ibrahima Thioub.
Pour ce qui est du reste, la France s’est portée l’avocate des pays africains qui réclament « une place dans la gouvernance mondiale », notamment au Conseil de sécurité des Nations unies où l’Afrique réclame deux sièges permanents avec droit de veto et au moins deux autres sièges non permanents et ne plus continuer à être la « cinquième roue », mais aussi un renforcement de la place du continent dans les autres grandes instances internationales (Banque mondiale, Fmi). Le président Sarkozy, qui a convenu qu’il est « absolument anormal que l’Afrique ne compte aucun membre permanent au Conseil de sécurité », a promis des « initiatives » lors de la présidence française du G-8 et du G-20, laquelle commence en fin d’année.
Sur la question de la lutte contre le changement climatique, autre grand thème abordé lors de ce sommet, les dirigeants africains ont souligné « l’asymétrie des profils : entre l’Occident pollueur et l’Afrique polluée à qui on demande en plus des efforts ».
Même si Nicolas Sarkozy a réaffirmé que les engagements des pays industrialisés à verser 30 milliards de dollars d’ici à 2012 pour aider les pays africains à s’adapter seraient « scrupuleusement tenus » ( ?), les dirigeants africains demandent plus.
La nécessité de créer un système financier à long terme permettant d’atteindre un financement de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 a ainsi été soulignée dans la déclaration finale.
La déclaration finale réaffirme aussi la détermination des chefs d’Etat et de gouvernement à « lutter contre les menaces transnationales comme le terrorisme (notamment en raison de la menace que constitue Aqmi), les actes de piraterie et de brigandage en mer, le trafic de drogue, etc. ».
Consciente désormais que la docilité n’est plus de mise et bousculée par de nouvelles puissances, la France, guidée par les appétits de ses multinationales, entend donc jouer sur ces deux leviers (la présence africaine dans les enceintes internationales et du climat) pour tenter de se projeter au-delà du « pré carré » francophone.
Une refondation tant promise par Nicolas Sarkozy, mais qu’il peine à concrétiser. Il faut dire que depuis son élection, malgré les discours, il y a eu plusieurs signaux qui laissent penser que la « Françafrique », avec ses réseaux parallèles d’influence dans les anciennes colonies, n’a pas encore totalement disparu. Sur la question des bases militaires françaises en Afrique, l’un des symboles de ce lien franco-africain, Sarkozy a promis, en plus d’une forte réduction de la présence militaire sur le continent, de jouer la transparence en rendant public le contenu des nouveaux accords de défense.
Les populations africaines attendent de voir.
Par Seydou KA
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