« Cinéma sous les étoiles » à Annaba : L’Esquive, amours défuntes
L’adolescence est un terrain fertile pour les créateurs. Ce passage sensible entre le monde de l’innocence et celui de la conscience a toujours intéressé les cinéastes. Certains, pour se rappeler leur enfance, d’autres pour explorer les sentiers sinueux de l’âme humaine.
Annaba. De notre envoyé spécial
Dans L’Esquive, projeté samedi soir dans la cour du Lycée Pierre et Marie Curie à Annaba, dans le cadre du « Cinéma sous les étoiles », le Franco-Tunisien, Abdelatif Kechiche, a suivi les aventures, presque à huis clos, de Krimo, 15 ans, et de sa bande de copains. Krimo, dont le père est en prison, rêve du large et des grands vents. Dans sa chambre, les images de voiliers occupent l’espace mural. Dehors, il est partagé entre l’amour naissant de Lydia, l’envie de faire du théâtre, et entre les médisances du quartier. Il est hésitant. Les filles ne cessent de se disputer entre elles. Les garçons sont plus calmes. Ils s’intéressent à la petite aventure « amoureuse » de Krimo. Ses copains de classe préparent une pièce de Marivaux, Le Jeu de l’amour et du hasard, rendue célèbre par les comédiens italiens en 1730. Une pièce toute en prose. Et voilà que Krimo, pour se rapprocher de Lydia, qui campe le rôle de Sylvia, veut lui prendre celui d’Arlequin. Il négocie avec son copain de classe pour prendre ce rôle. Sa tentative échoue. « Sors de toi, donne toi du plaisir, sois heureux », lui crie l’enseignante de théâtre. Mais Krimo est trop timide, articule mal et baisse les yeux. Il traîne une sombre tristesse. La même enseignante explique le sens profond de l’œuvre de Marivaux, l’emprisonnement du milieu, autant pour les nobles que pour les petites gens. « Même en amour, on reste prisonnier de son environnement que l’on soit riche ou pauvre », dit-elle.
Durant tout le film, les filles et garçons ne sortent jamais de leur cité des banlieues (le tournage a eu lieu à Saint-Denis dans la périphérie de Paris). Comme si les portes de la grande ville leur étaient fermées. Pris un joint à la main, le groupe se fait sévèrement malmener par des policiers particulièrement zélés et violents. A sa manière, Abdelatif Kechiche a voulu montrer le mal-vivre des jeunes de banlieue, ceux qui inquiètent « la bien pensance » de Paris, leurs rêves brisés et leurs tendres drames. Ils sont là à crier, vociférer, gesticuler un torrent de mots et d’insultes. Ce besoin de dire et de s’exprimer est tellement fort ! Le théâtre n’est qu’un prétexte pour mettre en avant l’idée de lancer : « Oui, on existe. Oui, on est des humains comme vous ! ». A l’origine, Marivaux voulait, dans sa pièce Le Jeu de l’amour et du hasard, inverser quelque peu ce rapport, parfois ambigu, entre les maîtres et les valets, les forts et les faibles. Poétique, fine et intelligente, l’œuvre de Abdelatif Kechiche, qui n’échappe pas aux lourdeurs de ce genre d’expression artistique, a obtenu en 2005 le César du meilleur film et du meilleur réalisateur. Le cinéaste, qui a co-écrit le scénario avec Ghalia Lacroix, a fait confiance à de jeunes acteurs qui n’ont jamais joué de leur vie, comme Osman Elkharaz (Krimo), Sabrina Ouazani (Frida) ou Sara Forestier (Lydia). Il a su canaliser leur énergie pour tirer une œuvre dépourvue d’artifices. Abdelatif Kechiche est lui-même acteur. Il a notamment joué dans Bezness, de Nouri Bouzid et dans Un Vampire au paradis de Abdelkrim Bahloul. En 2007, Abdelatif Kechiche, 50 ans, est revenu à la charge avec La Graine et le Mulet, film qui célèbre le couscous, ce plat maghrébin, autour d’une drôle histoire de famille. Le cinéaste tourne actuellement La Vénus noire. On n’en connaît rien pour l’instant. A noter enfin que, vendredi soir, La Môme, de Olivier Dahan, a été projeté suscitant beaucoup d’émotions. Le long métrage raconte l’histoire dramatique de la chanteuse Edith Piaf.
Par Fayçal Métaoui
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