Le management d’entreprise dans les pays du tiers-monde (I)
L’ouvrage de M. Chérif Ouabdesselam, que j’ai eu l’honneur de suivre la rédaction et le plaisir de préfacer, livre à la fois une analyse théorique et pratique intéressante sur le management de l’entreprise et surtout sa propre expérience, faisant le lien entre la théorie et la pratique, ce qui fait cruellement défaut dans notre pays (faiblesse de symbiose entre nos universités et le monde économique) par une démonstration de vérité sans complaisances et sera, me semble-t-il, un ouvrage de référence et un guide profitable aux seuls intérêts supérieurs de l’Algérie. 1) L’auteur montre brillamment la résultante de la nouvelle configuration de la division internationale du travail, produit historique de l’évolution du développement du capitalisme que l’on nomme aujourd’hui mondialisation, les Anglo-Saxons parlant plutôt de globalisation, que le capital se socialise dans différents dispositifs techno-organisationnels influant dans le rapport des individus au travail dont le nouveau système de communication est déterminant dans les savoirs sociaux, ayant des incidences à la fois sur la gouvernance d’entreprise, la gouvernance sociale et politique. Aussi, face à ces mutations, on ne saurait occulter l’anthropologie économique qui est un des facteurs essentiels pour le manager, ce que montre très bien l’auteur. Cette approche socio-culturelle évitant l'économicisme, qui rend compte de la complexité de nos sociétés, doit beaucoup aux importants travaux sous l’angle de l’approche de l’anthropologie économique à l’économiste indien prix Nobel Amartya Sen où d’ailleurs, selon cet auteur, il ne peut y avoir de développement durable sans l’instauration d’un Etat de droit et de la démocratie tenant compte de l’anthropologie culturelle de chaque société, qui permet à la fois la tolérance, la confrontation des idées contradictoires utiles et, donc, l’épanouissement des énergies créatrices. Outre qu’il ne faille pas confondre Etat de droit et démocratie, cela ne signifie pas qu’il ne puisse pas avoir d’économie de marché sans démocratie, qui est le but suprême, comme le montrent certaines expériences historiques en Asie et en Amérique latine, mais avec le développement, à travers le temps, naissent des couches moyennes productives qui aspirent de plus en plus à la gestion de la Cité. Cela renvoie au concept de rationalité du grand philosophe allemand Emmanuel Kant, la critique de la raison pure, la rationalité étant relative et historiquement datée, comme l’ont montré les importants travaux de l’anthropologue polonais Bronisaw Kasper Malinowski sur les tribus d’Afrique et d’Australie. Car il s’agit de ne pas plaquer des schémas importés sur certaines structures sociales où il y a risque d’avoir un rejet, comme une greffe sur un corps humain, du fait que l’enseignement universel que l’on peut retirer de l’histoire des civilisations depuis que le monde est monde est qu’il n’existe pas de modèle universel. C’est pourquoi Chérif Ouabdesselam tentera, au début du livre, d’évoquer les fondements culturels qui, selon lui, ont forgé l’état d’esprit des acteurs du développement économique et du progrès social, et ce tant dans les pays avancés que ceux du tiers-monde. L’auteur ne manque pas de préciser que ce dernier terme doit être perçu non point comme un fourre-tout à connotation régressive ou péjorative, mais plutôt comme une vision du monde dans lequel l’humanité doit évoluer vers plus de justice économique, sociale et politique. Aussi, cet ouvrage vient au bon moment, notre économie connaissant un déficit de management stratégique tant au niveau central que local, impliquant la mise en place d’un système d’économie de marché concurrentielle à finalité sociale, loin de tout monopole, qu’il soit public ou privé, car source de rentes et de surcoûts grâce à l’importance de l’Etat régulateur, stratégique en économie de marché, qui doit concilier les coûts sociaux et les coûts privés, cet ouvrage abordant dans le détail le management d’entreprise, une activité indispensable à la création d’emplois, à la production de richesses et, par extension, à une bonne gouvernance institutionnelle. 2) L’auteur montre clairement l’évolution historique du concept de bonne gouvernance qui a été évoquée déjà par Aristote, mais a été formalisée, il y a plus d'un demi-siècle, chez les économistes américains, dont Ronald Coase, en 1937 dans The Nature of the firm dans lequel il explique que la firme émerge car ses modes de coordination interne permettent de réduire les coûts de transaction que génère le marché. Cette théorie, redécouverte dans les années 1970 par les économistes institutionnalistes, en particulier par Olivier Williamson, débouche sur des travaux qui définissent la gouvernance comme les dispositifs mis en oeuvre par la firme pour mener des coordinations efficaces qui relèvent de deux registres : protocoles internes lorsque la firme est intégrée (hiérarchie) ou contrats, partenariat, usage de normes lorsqu'elle s'ouvre à des sous-traitants. Le terme corporate governance, qu'on peut traduire par gouvernance d'entreprise, va ensuite être utilisé dans les milieux d'affaires américains tout au long des années 1980. Par la suite, la notion d’urban governance a été reprise par d'autres pays européens et s'est généralisée dans l'étude du pouvoir local et fait, par ailleurs, son apparition à la fin des années 1980 dans un autre champ, celui des relations internationales. Le terme de good governance est employé par les institutions financières internationales pour définir les critères d'une bonne administration publique dans les pays soumis à des programmes d'ajustement structurel. Mais le pas décisif de la recherche sur la bonne gouvernance date des années 1990 en réaction à la vision, jugée techniciste, du New Public Management où a été posée cette question : la bonne gouvernance est-elle une conséquence de la pratique de la démocratie et l’Etat de droit ou sa cause ? Autrement dit, la liberté, la démocratie et l’Etat de droit, pris comme option politique, peuvent-ils engendrer la bonne gouvernance, c'est-à-dire la bonne gestion des affaires publiques ? Car il serait erroné d’affirmer que la bonne gouvernance serait l’assimilation à la quantification de la croissance du PIB/PNB, vision mécanique dépassée par les institutions internationales elles-mêmes. Ainsi, des auteurs comme Pierre Calame ont mis en relief, à juste titre d’ailleurs, le fait que la crise de l’Etat ne connaît pas seulement une crise interne touchant à ses fonctions et à sa structure, mais concerne davantage la capacité de l’Etat à asseoir sa légitimité ainsi qu’à formuler des politiques publiques en phase avec les besoins socio-économiques. C’est dans ce cadre, comme consécration de la recherche du rôle fondamental des institutions et du management stratégique, coeur de la dynamique économique des conditions du développement, en octobre 2009, que le jury du Prix Nobel en sciences économiques de l’Académie royale suédoise des sciences a choisi le travail d’une femme, Elinor Ostrom, pour «son analyse de la gouvernance économique, en particulier des biens communs» et d’Olivier Williamson pour «son analyse de la gouvernance économique, en particulier des frontières de la firme» , des analyses qui approfondissent celle du fondateur de la Nouvelle économie institutionnelle (NEI), ayant comme chef de file Douglass North, qui a démontré que les institutions ont un rôle très important dans la société déterminant la structure fondamentale des échanges humains, qu’elles soient politiques, sociales ou économiques et qu’elles constituent un des facteurs déterminants de la croissance économique de long terme, le terme d’institution désignant «les règles formelles et informelles qui régissent les interactions humaines» et aussi comme «les règles du jeu» qui façonnent les comportements humains dans une société. A travers les nouveaux prix Nobel, le jury a rappelé l’importance des institutions pour comprendre la coopération sociale, comment contrôler la coopération des différents agents économiques et faire respecter le contrat de coopération. Parce qu’il est coûteux de coopérer sur le marché, il est souvent plus économique de coopérer au sein d’une organisation. C’est là l’apport fondamental de Ronald Coase, mentor de Williamson, qui permet de comprendre comment émerge le phénomène de la firme qui intègre une série d’activités de manière hiérarchique et économise en coûts de transactions par rapport au marché, tenant compte, bien entendu, des coûts d’organisation. (Suivra) Par le DR Abderrahmane Mebtoul, expert International et professeur d’université
19-05-2010
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