Thursday, January 27, 2011
Mr Klaus Schwab Chine Europe Etats-Unis 2011
Source : La Tribune.fr
Klaus Schwab, président du World Economic Forum de Davos "La Chine va devenir un grand problème pour l'Europe ou les Etats-Unis
A l'occasion de la 41ème édition du World Economic Forum qui s'ouvre ce mercredi à Davos, en Suisse, son président Klaus Schwab livre en exclusivité à La Tribune sa vision du monde presque deux ans et demi après le début de la crise.
La 41ème édition du World Economic Forum s'ouvre ce mercredi à Davos, en Suisse. Elle réunira jusqu'à dimanche près de 2.500 personnalités du monde politique, des affaires, des monde universitaire et de la société civile. Une trentaine de chefs d'Etat et de gouvernement, huit dirigeants de banque centrale, et 1.400 chefs d'entreprises feront le déplacement.
Le président russe Dmitri Medvedev prononcera ce mercredi le discours d'ouverture, tandis que Nicolas Sarkozy viendra présenter jeudi sa vision de la présidence française du G20, un thème qui devrait dominer les ateliers de travail du Forum, selon le souhait de son président Klaus Schwab. Reprise mondiale, crise de la zone euro, rattrapage des pays émergents, refondation de la gouvernance mondiale : ce professeur d'économie suisse, qui fondé le World Economic Forum en 1971, livre en exclusivité à La Tribune sa vision du monde presque deux ans et demi après le début de la crise.
La Tribune : Etes-vous confiant dans la reprise économique des pays industrialisés ?
Klaus Schwab : Si l'on regarde les Etats-Unis et l'Europe, ces pays vont devoir mener au cours des cinq à dix prochaines années une politique de désendettement. Il va leur falloir trouver un équilibre délicat entre deux forces opposées : d'un côté, la poursuite indispensable d'une politique vigoureuse d'austérité, synonyme de sacrifices et de réduction de la consommation, et de l'autre, la stimulation nécessaire de l'économie. Actuellement, les pays de l'OCDE se trouvent à la croisée de ces chemins. J'estime qu'il leur faudra une période de 6 mois minimum d'une croissance solide pour s'assurer qu'on est vraiment sorti de la crise, et que la croissance économique s'auto-alimente, sans l'aide des mesures étatiques.
L'Europe semble pourtant avoir du mal à sortir de ses difficultés. Est-ce l'euro qui lui pose problème ?
Non, même si je crois que les européens butent sur effectivement sur deux freins. Tout d'abord, l'euro a été créé sans les instruments nécessaires pour vraiment piloter cette monnaie commune. Il existe certes la Banque centrale européenne, mais ce n'est pas suffisant : il faut aujourd'hui une coordination des politiques économiques, en particulier sur le plan fiscal.
Quel est le deuxième obstacle que rencontrent les Européens ?
Le surendettement ! On a vécu au-delà de nos moyens, surtout dans la périphérie de l'Europe, et les dettes qui ont été d'abord accumulées par les ménages, puis transmises aux banques, et ensuite aux Etats, sont toujours là : la vraie question est de savoir si on va les transférer aux contribuables ou à la prochaine génération. Mon analyse que nous nous sommes face à une crise financière, qui s'est transformée en crise économique, puis, dans beaucoup de pays, en une crise sociale, et qui risque aujourd'hui de tourner à la guerre des générations. C'est pour cela que je n'écarte pas le scénario d'un nouveau Mai 68.
Rappelez-vous ce qui s'est passé à l'époque : la jeunesse s'est révoltée contre les structures autoritaires de la famille et de l'Etat. Il est très probable qu'un jour, nous ayons à affronter une révolte contre la négligence de notre génération à l'égard de celle de demain. On a vu les premiers symptômes de cette révolte avec la colère des étudiants britanniques. En Espagne le taux de chômage des jeunes n'est pas soutenable à long terme.
Mais si l'Europe parvient à renforcer les instruments de pilotage et corriger cette tendance à vivre au dessus de ses moyens, sera-t-elle remise sur de bons rails ?
Pas tout à fait, car il subsiste un effet technique que l'on sous-estime, et qui a commencé il y a dix ou vingt ans, quand les pays qui connaissent actuellement des difficultés (Portugal, Espagne, Irlande ou Grèce), ont été intégrés dans l'Union européenne. A l'époque, c'était l'euphorie, et l'abondance d'argent investi dans ces pays a procuré un sentiment de facilité, contrairement à ce qui se passait en Allemagne. Or ce décalage n'est pas très connu.
Après sa réunification, l'Allemagne a dû consentir des sacrifices importants pour intégrer les nouveaux Landers. Prenez les coûts unitaires de production : ils ont beaucoup augmenté dans les pays périphériques de l'Europe, mais relativement peu en Allemagne. Cette faible progression ne s'explique pas seulement par le caractère raisonnable de nos voisins Allemands, mais parce qu'ils ont accepté de faire des sacrifices après la réunification.
Les pays émergents, eux, connaissent une croissance beaucoup plus rapide...
Oui, l'autre monde, dans lequel on trouve la Chine ou de l'Inde, affiche une croissance solide et représentera bientôt la moitié du PIB mondial. Ce succès s'explique par l'intégration de millions, voir de centaines de millions de nouveaux acteurs dans l'économie, devenus des consommateurs, des travailleurs, des épargnants etc.... On compte aujourd'hui encore près de deux milliards de personnes toujours en dehors des circuits économiques et qui devront être, à leur tour, intégrées. Ces personnes, les jeunes en particulier, sont mieux éduquées car elles ont accès notamment à l'internet. Je suis persuadé qu'elles vont être le moteur de la croissance de demain.
Au Maghreb, la jeunesse ne semble pas profiter des bienfaits de la mondialisation...
C'est vrai, car dans ce nouveau monde, les pays n'avancent pas tous au même rythme. Je crois qu'il faut distinguer 4 catégories. D'abord les fameux Brics, c'est-à-dire la Chine, l'Inde, le Brésil, la Russie mais aussi désormais l'Afrique du sud, qui connaissent des taux de croissance élevés. Vient une deuxième vague de pays, comme le Vietnam, la Colombie ou l'Indonésie, qui ont entrepris de se moderniser pour stimuler leur économie. Troisième groupe, les états n'ayant pas adopté les réformes suffisantes et qui souffrent actuellement. Certains, à l'instar de la Tunisie, l'Algérie, ou l'Egypte, connaissent une croissance démographique encore forte comparée par exemple à la Chine. Ils doivent créer chaque année des centaines de milliers voire des millions de nouveaux emplois pour intégrer les nouveaux venus sur le marché du travail. Enfin, viennent les pays si pauvres qu'ils doivent être soutenus par la communauté internationale. Je pense à Haïti mais aux pays du Sahel ou à la Somalie...
La Chine bat presque chaque semaine un nouveau record. Cette croissance vous parait-elle durable ?
Oui, et c'est souhaitable ! Jusqu'au 18ème siècle, la Chine et l'Inde étaient les puissances économiques les plus importantes du monde. Et à mes yeux, il est assez logique que les pays les plus peuplés soient aussi économiquement les plus puissants. La Chine est donc dans un processus de rattrapage, mais ce n'est pas le seul facteur qui explique pourquoi son taux de croissance a toutes les chances de rester élevé.
Quels sont ces facteurs ?
D'abord, la volonté du peuple chinois de faire des sacrifices pour garantir une meilleure vie pour la prochaine génération. Cette volonté s'exprime par un taux élevé d'épargne, qui permet aussi de compenser les déficiences du système social chinois. Deuxième facteur : l'éducation. La Chine a reconnu l'importance de ce secteur pour assurer la croissance de demain. Or comme vous le savez, la concurrence se fait surtout par la matière grise. On vient d'en avoir un aperçu avec l'enquête Pisa 2009 de l'OCDE sur les systèmes éducatifs, qui place Shanghai en tête du classement. Et enfin, les travaux d'infrastructures, qui nourrissent la future compétitivité chinoise. Si on regarde ce qui est en train de se préparer dans ce pays, on comprend mieux pourquoi la Chine va devenir un grand problème pour l'Europe ou les Etats-Unis : comment digérer politiquement et économiquement sa montée en puissance ?
On constate déjà que la course aux matières premières fait flamber les cours des matières premières. Est-ce inquiétant ?
Cette année, l'économie mondiale va croître de 5%. Si ce rythme se maintient, elle doublera de taille en quinze ans, ce qui signifie aussi que l'utilisation des ressources sera multipliée par deux, sauf si bien sur, on parvient entre temps à améliorer l'efficacité énergétique. Dans ces conditions, nous allons être confrontés à un problème de pénurie, un thème qui sera présent dans nos discussions de Davos.
Il y a deux ans, tout le monde croyait dans les vertus du G20 pour sortir de la crise. Aujourd'hui, ce mode de gouvernance ne semble pas avoir tenu toutes ses promesses. Peut-on parler de désillusions ?
Non, je ne crois pas, il s'agit en réalité d'un processus naturel. Quand les présidents Sarkozy et Bush se sont mis d'accord en 2008 pour organiser le G20, les dirigeants de la planète étaient dos au mur, et il allait de leur intérêt d'agir d'une façon coordonnée. Tous les sommets jusqu'à celui de Toronto en juin 2010 avaient pour but de combattre les effets de la crise : dans cette optique, le G20 a plutôt bien réussi, car nous sommes parvenus à éviter la grande dépression des années 20 du dernier siècle.
A l'automne dernier, le sommet à Séoul devait marquer un tournant, en se demandant comment éviter à l'avenir la répétition d'une telle crise, et comment résoudre les grands défis mondiaux. Mais la réunion en Corée n'a pas produit de résultats concrets. Le vrai test va avoir lieu sous la présidence française. Il y a deux défis à relever: est-ce que le G20 peut s'établir comme un instrument légitime et efficace dans la gouvernance mondiale ? Est-ce que les dirigeants sont capables de prendre des décisions communes pour construire le monde demain ?
La présidence française du G20 peut-elle relever ces deux défis ?
Elle va se heurter à deux types de difficultés. D'abord, 2012 va être une année d'élections et de transition dans plusieurs pays clés du G20. En Chine, aux Etats-Unis, en France, en Russie ou au Canada. Il faut se rendre compte que dans ces pays, les dirigeants sont élus ou désignés non pas pour répondre aux problèmes planétaires mais pour résoudre les difficultés locales. Dans ces conditions, il sera plus difficile pour les dirigeants du G20 de faire des concessions.
Deuxième obstacle, l'accélération du temps. Que l'on parle de guerre monétaire, de terrorisme ou de crise alimentaire, les événements se déroulent à une vitesse toujours plus rapide, et pour les gouvernements, ils deviennent de plus en plus complexes à résoudre. C'est d'ailleurs ce qui justifie l'approche par le G20. Mais celui-ci doit encore s'imposer : aujourd'hui, il ne dispose même pas d'un secrétariat permanent.
L'agenda du G20, présenté lundi par Nicolas Sarkozy, n'est-il pas trop ambitieux ?
Non, je crois au contraire que les trois thèmes retenus sont exactement ceux qu'il faut traiter. La question des matières premières est urgente, si on veut calmer l'emballement des cours. Quant à la réforme souhaitée du système monétaire, elle est indispensable pour éviter la répétition d'une nouvelle crise comme on l'a vécue. Enfin, le thème de la gouvernance mondiale doit lui aussi absolument être abordé, pour trouver un format de discussion intégrant le G20 dans le système international.
Y-a-t-il des leçons à tirer du succès de la conférence de Bretton Woods, en 1944, qui avait réussi à accoucher d'un nouveau système monétaire international ?
Certainement, même si le contexte a changé.. Il y avait, à l'époque, une vraie perspective mondiale, et un nombre d'acteurs beaucoup plus restreint qu'aujourd'hui. C'est pourquoi il difficile en 2011 de vouloir répliquer Bretton Woods, même si on peut s'inspirer de certaines choses. Par exemple, Bretton-Woods avait réuni des partenaires très variés. Pas seulement des responsables gouvernementaux, mais aussi des intellectuels, des économistes.... C'est ce que nous essayons de faire au forum économique de Davos, en faisant venir des décideurs de la vie politique, économique, académiques ou des ONG...
Que peut apporter le World Economic Forum au G20 ?
Nous voulons être une plate forme qui intègre les opinions non seulement des dirigeants politiques du G20 mais aussi des responsables des autres pays, des milieux politiques, académiques, des ONG, des syndicats, etc ... Le Forum essayer de trouver des solutions pour tous ces problèmes. C'est notre rôle. Il ne s'agit pas de décider, mais de préparer le terrain.
Propos recueillis par Eric Chol Envoyé spécial à Cologny, Suisse - 26/01/2011, 06:44
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