L’affirmation de l’identité sédentaire
Sbeïba est le premier mois du calendrier targui. C’est un rite festif spécifique à la région de Djanet, dominé par la concurrence et les duels.
Durant notre séjour à Djanet dans le cadre du 6e Colloque international sur le soufisme, une soirée spéciale Sbeïba a été organisée. Le but était de présenter ce patrimoine immatériel, spécifique à la région de Djanet, et que deux tribus des Touaregs : El-Mihane et Zelouaz, fêtent à la même période. Ce qu’il faut avant tout savoir et retenir de la célébration de la Sbeïba c’est qu’elle débute le premier jour de Moharem (premier jour du premier mois du calendrier de l’Hégire) et se poursuit jusqu’au 8 du même mois. Sbeïba est un rite relatif à El Achoura, qui s’appuie sur les “thimoulalyne” (le pluriel de “thamuli”) et qui signifie louanges. Il est question de faire l’éloge des personnages historiques mais aussi des vieux, des jeunes et des jeunes filles de chaque tribu. Les Touaregs de Djanet chantent et font l’éloge du palais. Ils célèbrent leur mode de vie sédentaire, qui les différencie des nomades. Chaque tribu fait l’éloge des siens : la force de ses jeunes, la beauté de ses jeunes filles et le courage de ses anciens, tout en critiquant l’autre tribu. C’est une concurrence loyale et artistique qui s’articule autour de plusieurs niveaux et domaines, notamment la danse, la poésie, l’habit traditionnel, le chant, les coiffures, les masques ou encore l’interprétation. La Sbeïba commence toujours par un chant… une prière : “Ya Allah Ya Lillou”, où les interprètes demandent à Dieu de leur prêter vie au lendemain, afin qu’ils descendent au “Oued” pour faire la fête. Une fête qui commence très tôt la journée du 10 Moharem (le jour de Achoura), où les habitants des deux tribus descendent au “Oued” munis de roses, pour prolonger la fête et la terminer en apothéose. À cet endroit, les deux tribus se confrontent à travers des duels, des danses représentant des scènes de combat ou encore à travers les belles poésies. “La Sbeïba n’est pas une guerre. L’histoire ne raconte pas de guerre entre les tribus de Zelouaz et El-Mihane. C’est un contexte et un prétexte pour la société targuie de s’exprimer et de s’extérioriser”, explique Meriem Bouzid Sababou, anthropologue et fine connaisseuse du rite de la Sbeïba, pour avoir consacré son magister à ce sujet. Selon notre interlocutrice, c’est une manière de s’exprimer sur les non-dits, notamment la manière de choisir un mari, qui implique le renouvellement du groupe et l’affirmation de l’identité locale, qui rime avec donc identité sédentaire. La Sbeïba est riche en enseignements puisque les jeunes apprennent le respect des aînés, primordial dans la culture targuie. Cependant, il est très difficile de situer dans un contexte précis l’apparition de ce rite. Certains affirment pourtant que son apparition date d’il y a environ trois mille ans, lorsque les deux tribus : El-Mihane et Zelouaz, qui étaient en guerre, ont signé un pacte de paix à l’annonce de la victoire de Moïse et la défaite de Pharaon. Mais Mme Bouzid Sababou éloigne cette hypothèse de sa démarche et de sa quête de la vérité. En outre, les airs interprétés ne changent pratiquement jamais, contrairement aux textes qui changent de manière progressive, lorsqu’un événement majeur bouleverse la vie de ces deux tribus. Par exemple, après le Festival culturel panafricain 1969, certaines phrases ont été ajoutées. Mais ceci reste très minime et progressif. “La Sbeïba est vraiment un rite social et culturel qui a su réussir à garder son authenticité, contrairement à des pratiques équivalentes dans les autres pays, notamment au Maroc, où c’est devenu un spectacle pour les touristes”, explique l’anthropologue. Notons par ailleurs que du 24 au 27 décembre prochain, la célébration de la Sbeïba sera organisée dans la belle oasis de Djanet.
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