Mohamed Benhaddadi-Expert en énergie et professeur associé à l’Ecole polytechnique de Montréal (Canada)
« Le prix du baril à 20 dollars, ça fait partie du siècle passé »
Les cours de pétrole connaissent une tendance haussière jamais égalée. Quelles sont les raisons de ce renchérissement que vous avez évoqué dans Dilemmes énergétiques ? Le facteur fondamental est la demande. Depuis le début de ce nouveau millénaire (2002-2003), la demande est en nette croissance. A partir de l’instant où la demande est élevée, les prix sont automatiquement à la hausse. On ne peut pas dire qu’il y a un déficit de l’offre, contrairement aux deux crises pétrolières de 1973-1979, où le pétrole a manqué sur le marché. Il n’y a pas de marge de sécurité, car ce qui est produit est consommé. Il y a une multitude de facteurs qui justifie cette hausse. Je voudrais m’arrêter sur un point parce qu’on n’en parle pas suffisamment. Nous sommes à un moment où l’irrationnel domine. Et quand vous êtes dans des situations irrationnelles, vous ne pouvez pas la justifier. Théoriquement, Il n’y a rien qui justifie ces prix qui avoisinent actuellement les 150 dollars (début juillet, ndlr). Dans la pratique, ça pourrait dépasser les 150 dollars, parce qu’on est dans un monde irrationnel. Et dans ce monde irrationnel, on ne peut pas ne pas mettre en exergue le rôle que joue la spéculation. Celle-ci a atteint des niveaux astronomiques et dépassent tout entendement. Si on n’y met pas de l’ordre, ça va rester encore à des niveaux élevés et les cours ne pourront pas baisser. Le prix du baril à 20 dollars, ça fait partie du siècle passé. Il y a un consensus là-dessus. Quel va être le prix futur ? Le producteur et le consommateur vont-ils être satisfaits ? On ne le sait pas ! On a parlé de 40 USD, 60 USD et 70 USD. Ces pays doivent dialoguer et donc seront, peut-être, en mesure de mettre de l’ordre dans les prix de l’énergie. Vous avancez dans votre livre que les réserves de pétrole peuvent satisfaire la demande mondiale jusqu’en 2030. Y a-t-il lieu de s’inquiéter après cette date d’autant plus que, selon vos conclusions, la consommation énergétique va s’accroître encore de 45% ? Pour le pétrole, on parle de réserves pour 40 ans. En théorie, le pétrole, physiquement, ne viendrait pas à manquer. Mais il ne faudrait pas attendre 2030 ou 2040 pour trouver des énergies de substitution. Le goulot d’étranglement est le transport où le pétrole est irremplaçable. D’ici à 2025-2030, on ne voit pas d’énergies alternatives au pétrole. Donc, le pétrole va encore être la première source à être utilisée durant cette période. Mais ce qui est inquiétant, et dont on ne parle pas suffisamment, c’est le charbon qui va revenir. C’est doublement inquiétant ! Il est vrai que le charbon est disponible. On en a pour 200 ans de réserves, mais du point de vue environnemental, il est hautement plus polluant que le pétrole. On n’est pas sorti de l’auberge avec le charbon qui remplacerait le pétrole. C’est clair qu’on travaille sur des énergies de substitution. Peut-être que les biocarburants seront une partie de la solution. Je pense qu’il y a énormément d’ordre à faire dans ce domaine. On s’inquiète beaucoup en Occident de l’augmentation des prix de pétrole et on s’inquiète tout autant, voire tout au plus dans les pays en voie de développement, des produits céréaliers. On a vu les émeutes du pain en Egypte, au Sénégal et au Maroc. C’est une problématique qu’on doit aussi intégrer dans le sens où on ne doit pas essayer de trouver une solution au problème du pétrole, mais aux problèmes de l’ensemble des ressources énergétiques et des denrées alimentaires aussi. Vous notez la nécessité de promouvoir les énergies renouvelables. Pensez-vous qu’on est amené dans les prochaines années à assister au début de la fin de l’ère du pétrole ? Les solutions de demain seront multiples. Entre autres solutions, les économies d’énergie. C’est un secteur fondamental. Celui-ci souffre aujourd’hui de sous-financement. On met des milliards de dollars et d’euros dans la construction de centrales nucléaires, alors qu’on aurait pu mettre cet argent dans la promotion des économies d’énergie. C’est un secteur à privilégier. Un autre secteur à encourager : les nouvelles techniques, comme les énergies renouvelables. L’éolien connaît un très grand essor. Le solaire est appelé à connaître son essor également. Il y a énormément à faire à ce niveau-là. Le gros problème est l’investissement qu’il va falloir retrouver le plus rapidement possible. Il n’y a pas l’ombre d’un doute qu’il y aura des avancées majeures dans le domaine de la science. Et ces avancées, il ne faut pas les attendre avant 2020. D’ici là, il va falloir s’employer à chercher des solutions novatrices. L’introduction de nouvelles technologies à très grande échelle est pour l’autre décennie. Vous affirmez que la Terre est confrontée à un épuisement de ses ressources énergétiques et à une dégradation effrénée de l’environnement. Selon vous, l’avenir de l’humanité est-il sombre ? Ce qui se passe en Amérique du Nord est très différent de l’Europe. Les Européens ont la culture de l’économie de l’énergie et la culture de l’utilisation rationnelle de l’énergie. En Amérique du Nord, nous avons accès à différentes sources à très bas prix. Cela encourage évidemment la surconsommation. C’est prouvé scientifiquement. L’Américain moyen consomme le double d’un Européen pour un même niveau de vie. A priori, il n’y a rien qui justifie cela. En Amérique du Nord, il y a tout un travail à faire. Personnellement, je suis impliqué dans cette direction. Je donne beaucoup de conférences au niveau des universités pour alerter les gens. On doit faire la part des choses si on veut intervenir dans le sens de la promotion du développement durable et de la préservation de l’environnement. On doit jouer sur la transformation des énergies. En Amérique du Nord, on est interpellé justement beaucoup plus parce qu’on fait beaucoup moins. Il y a tout un travail de sensibilisation à effectuer. Aujourd’hui, il ne faut plus parler de sensibilisation, mais aller vers des actions d’envergure car on ne peut pas faire la politique des petits pas. Il est clair qu’il faut, à un moment donné, légiférer et obliger les gens à réduire leur consommation. Ce sera la solution qui donnera le plus vite des résultats. Ces solutions basées sur le volontariat ont montré leurs limites. Il va falloir que les décideurs politiques concrétisent les vœux de la société. Celle-ci demande que des actions. Les gouvernements sont un petit peu en retard. En Amérique du Nord, aussi bien au Canada qu’aux USA, des gouvernements, très conservateurs, au pouvoir et qui sont secondés par leur lobby pétrolier, pour qui l’environnement n’est pas un enjeu majeur aujourd’hui. Où se situe le blocage dans l’application du protocole de Kyoto ? Dans le Nord industrialisé ou le Sud en quête d’industrialisation ? Au niveau des pays industrialisés, on ne peut pas les mettre dans la même assiette. Les Européens sont conscients de la préservation de l’environnement. Les nord-Américains ont signé l’accord de Kyoto et disent que c’est le marché qui doit tout réguler. Il est vrai que le marché va aider, mais on ne peut compter seulement là-dessus. Les Européens disent que les émissions à effet de serre en 2020 seront réduites à 20%. Ce sont les nouveaux objectifs après les accords de Kyoto. Les Nord-Américains ne veulent pas embarquer. Cette démarche est tronquée car on ne peut compter sur le marché pour régler les problèmes de l’environnement. Il faut que les Etats jouent le rôle de régulateurs. Concernant les pays en voie de développement, la problématique est différente. Ce sont eux qui subissent le plus les changements climatiques et ce sont eux aussi qui en sont le moins responsables. Ils devraient s’installer autour de la table pour demander des compensations. C’est au Nord de payer pour que la qualité de l’environnement soit meilleure dans le Sud.
Par Hocine Lamriben
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