Mer Noire : la grande oubliée de l’Union pour la MéditerranéeEurasie :: Lundi, 28 juillet 2008 . 17:28 t.u. :: Catherine Durandin
D’une mer à l’autre, bleue ou noire, toutes les deux porteuses de mémoires antiques gréco-romaine et ottomane, la Méditerranée va-t-elle supplanter la Mer Noire ? En cet espace, Russes, Turcs, Etats-Unis et dans une moindre mesure, UE, sont pourtant très présents…
Le président roumain Basescu était présent à la tribune d’honneur pour le défilé du 14 juillet sur les Champs Elysées. Très convaincu par le lancement du projet Union pour la Méditerranée, il a souligné, dès son retour à Bucarest, l’urgence pour les investisseurs roumains d’aller vers l’Afrique du Nord et, au-delà, vers l’Afrique. Etrange pour un président élu en 2004 sous les regards bienveillants de Washington qui s’est fait depuis le porte parole d’une Grande Stratégie Mer Noire…
Le grand projet Mer Noire selon Washington
Le projet d’une stratégie Mer Noire, en sa version occidentale militante, revient aux lobbys et think-tanks américains néoconservateurs dès 2003-2004. L’idée est de transformer les pays riverains, l’Ukraine puissance de plus de 50 millions d’habitants, en particulier, en vaste espace démocratique, sécurisé, stabilisé : une sorte de voisinage démocratique alors face à la Russie de Poutine, ambitieuse en sa volonté de restauration de puissance. Les acteurs “du soft power” américain, ONG, réseaux d’influence etc… ont été très actifs à Kiev, lors des élections de 2004 qui ont ouvert une voie incertaine à une sorte de “révolution” pro occidentale, dite “révolution orange”. Au- delà des enjeux politiques et idéologiques, se joue une forte concurrence énergétique : Moscou tient à conserver la mainmise sur Kiev, pays consommateur et de transit du gaz naturel russe vers les Balkans et l’Europe Centrale.
Les visées stratégiques sont lourdement présentes en Mer Noire : les Russes conservent la base maritime de Sébastopol qu’ils louent à l’Ukraine et entendent conserver. Les Turcs, membres de l’OTAN depuis 1952, souhaitent garder un droit de regard de puissance riveraine sur les Détroits de la mer Noire à la Méditerranée Orientale. En cette option, ils rejoignent Moscou qui s’oppose à une “otanisation” de la Mer Noire.
La Grande Stratégie Mer Noire de Washington a été très bien reçue à BucarestLa “Grande Stratégie Mer Noire” de Washington a été très bien reçue à Bucarest. Le président Basescu s’est fait le porte parole des visions américaines : colloques, Forum Mer Noire à Bucarest en juin 2005 (boudé par les Russes), entretien du chef de l’état roumain à Washington en juillet 2006 avec George W. Bush et les représentants des think tank tel que la “Jamestown Foundation” : la Mer Noire, à travers ces rencontres, est devenu une sorte de trou noir, insécurité, trafics de drogue… Et le rêve pour l‘avenir faisait de cet espace un lac de Genève bordé de démocraties libérales de Kiev à Tbilissi.
Des paroles aux actes
Cette mobilisation néo conservatrice a accompagné plusieurs étapes d’américanisation de la Mer noire : fin 2005, des accords bilatéraux ont été signés à Bucarest et à Sofia pour l’installation de bases militaires américaines en Roumanie et en Bulgarie. Ce projet s’intègre dans le redéploiement vers l’Est des forces américaines installées en Allemagne. Dès juillet 2007, la première base US proche du port roumain de Constantza fut opérationnelle. Trois autres sites doivent être aménagés. Ces bases ne transforment pas le paysage socio économique local : les militaires américains peu nombreux sont présents, sans leurs familles, sur de courts termes de service.
L’installation des bases US en Bulgarie se réalise dans un climat de relations renforcées et chaleureuses entre Sofia et Washington. Lors du sommet de l’OTAN d’avril 2008 qui s’est tenu à Bucarest, Washington suivi par la Roumanie a soutenu la future intégration de l’Ukraine dans l’OTAN, ce qui heurte Moscou.
Moscou veille
la Russie suit une ligne cohérente de puissance restaurée en Mer Noire
Les visions françaises détournent de l’intérêt à porter à la Mer Noire. Or, Bulgarie et Roumanie, avec leurs bases de projection militaire US, sont membres et de l’OTAN depuis 2004, et de l’UE depuis 2007. L’évolution de la Turquie, son avenir dans ou hors de l’UE, sa place et son rôle dans l’Union pour la Méditerranée, restent à définir. Incertitudes alors qu’Ankara conduit un dialogue régulier avec Moscou et avec l’Iran…
Pour tenter de faire bonne figure en ce contexte nouveau, Union pour la Méditerranée et présidence française de l’UE, Bucarest s’applique à inventer des ponts entre Mer Noire et Méditerranée. Cet effort traduit un malaise dont les fondements sont simples. D’un côté, les pays riverains de la Mer Noire tout comme l’UE ignorent ce que sera, avec une nouvelle présidence à Washington, le sort de la Grande Stratégie Mer Noire des Etats-Unis.
De l’autre, la Russie suit une ligne cohérente de puissance restaurée et condamne les avancées des Etats-Unis tant en Mer Noire que dans l’espace Centre européen (installation du système de Défense Anti Missile en république tchèque). En dernier ressort, la stratégie de l’UE reste vague, formulée autour du thème d’un plus d’engagement vers l’Est, d’un effort pour la Politique Européenne de Voisinage (PEV). Mais où sont les faits ?
Il sera intéressant de suivre, discours directs ou voix “off”, les réactions russes au grand projet méditerranéen français. Anecdote, vision ou esquives : que pense Moscou, accrochée à la Mer Noire, de la Méditerranée à la française ?
Source : Contre-feux
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