La suppression des régions : la RGPP en contre-sens de l’Histoire
La commission Attali avait été claire : il existe un échelon territorial de trop en France, et cet échelon c’est le département.
Limité géographiquement, inadapté dans ses modes de scrutin, négligeable dans une structuration européenne des régions, redondant sur des politiques menées soit localement (intercommunalités) soit à un échelon plus large (régions), les départements sont à l’image des communes des coquilles trop étroites pour coller aux réalités.I. La RGPP : une promesse de retour cinquante ans en arrière
La France va droit dans le mur, et elle y va en souriant.
Elle espère que le retour à des politiques proches des années 60 voire antérieures soient susceptibles de conduire à nouveau le pays dans la voie des Trente Glorieuses. C’est ignorer que l’Histoire avance et que les contextes évoluent : à trop regarder dans le rétroviseur, c’est le mur qui guette.
La RGGP ou « Réforme générale des politiques publiques » s’est attaquée frontalement à la refonte de l’administration publique de l’Etat. Il ne s’agit pas de dire qu’il ne fallait rien faire et que tout allait bien, mais plutôt de savoir dans quel sens les « réformes » conduisent le pays.
La RGPP constitue l’un de ces outils dont il serait grand temps de prendre connaissance tant il risque de mettre l’administration publique au tapis.
Beaucoup en rêvent, certes.
Mais quand il s’agira d’avoir des services, il ne faudra plus hurler au loup s’il n’existe plus personne au bout du fil pour répondre pour un renseignement concernant les impôts ou pour s’occuper de quelques incidents de voirie ou de canalisation.
Bref, l’enjeu du débat est de savoir si l’on va vers le moins d’Etat pour l’idéologie ou si l’on va vers le mieux d’Etat pour le sens du progrès.
Ce qui est le plus risible in fine, c’est de constater qu’à périmètre de plus en plus restreint, les finances de l’Etat sont toujours dans le rouge vif et ne cessent d’être déficitaires d’années en années... à croire qu’il y aurait d’autres responsables que les fonctionnaires et les citoyens...
Quand l’Etat laisse passer des affaires type l’affaire « Tapie », on sait clairement que l’intérêt pour l’argent public s’arrête au porte-monnaie des bienfaiteurs de campagnes électorales.
La RGPP s’est donc attaqué préalablement à regrouper autant que possible les ministères afin d’utiliser l’aubaine démographique pour ne pas renouveler des postes et tenter de grouper en réduisant les voilures. Cette action était sans doute nécessaire, reste à savoir quel service public survivra, car à trop regrouper il risque de ne plus rien rester sur le terrain.
Le second volet de la RGPP, celui auquel s’attaquera dès l’automne le gouvernement, sera de sabrer dans la fonction publique territoriale.
Un constat : 4 échelons, communes, communautés de communes/agglomérations, départements et régions. C’est au moins 1 de trop.
II. Pourquoi les régions ?
Historiquement, depuis la révolution française, l’Etat décentralisé s’appuyait sur des communes et des départements.
En 1972 puis en 1984 furent ajoutées à ces deux échelons les régions afin de répondre à des politiques plus homogènes sur des territoires pesant un poids démographique et économique significatif au niveau européen.
22 régions et 4 régions d’Outre-Mer furent créées, avec l’immense erreur de ne pas avoir dissous les départements à la même occasion, entraînant des situations ubuesques comme en Outre-Mer où le département de la Réunion correspond à la région de la Réunion. On pourra également évoquer le cas des 2 Normandie et autres.
L’objectif était de permettre au travers de ces échelons de regarder vers l’avenir avec des collectivités publiques pouvant dialoguer au même niveau que leurs homologues européennes, qu’il s’agisse de la Bavière ou de la Catalogne.
Les régions avaient et ont pour mission de porter des projets d’envergure, notamment dans le domaine des transports, de l’éducation et du développement économique. Depuis 1984, les régions ont réussi à relever cet objectif même si leur champ de prérogatives a été particulièrement limité, notamment sur l’action locale directe (les régions sont comme les départements des échelons pour « aider à faire faire » avec quelques compétences directes comme l’organisation des TER ou la construction des lycées).
Au niveau plus local, suites aux dispositions concernant les grandes agglomérations, la loi Chevènement de 1997 a permis de regrouper à une échelle pertinente (communauté d’agglomération ou de communes), via un levier fiscal incitatif, des communes de plus en plus limitées budgétairement et vouées à coopérer pour porter des projets locaux importants. Le mode de scrutin actuel, indirect, constitue du reste une marche de progrès à franchir (vers un suffrage universel direct pour des échelons communaux et intercommunaux regroupés).
La création de ces deux échelons devaient et doit marquer une étape importante en France, à savoir « l’élargissement des communes et départements » à de nouveaux échelons de pertinence et d’efficacité économique, les agglomérations / communautés de communes et régions.
Car c’est bien de cela dont il s’agit : la création de nouvelles strates publiques avait pour sens, sans heurter l’extrême sensibilité d’élus locaux, de les conduire à abandonner des échelons devenus techniquement inadaptés.
Comment construire une piscine lorsqu’il faudrait l’assumer à 5 communes sur quinze ans ?
Comment organiser les transports publics alors que les lignes dépassent les frontières, y compris régionales ?
Comment proposer une politique homogène de formation s’il y a 100 décideurs (qui décident tous des mêmes sujets au même moment du reste) ?
Comment conduire une politique de développement économique incitative sur une commune périphérique sans avoir à dialoguer avec la commune centre ?
Les quatre échelons devaient et doivent être intermédiaires. Ils doivent marquer une transition qui, dans le temps, est somme toute courte. Seul l’Etat est en mesure de franchir l’obstacle des élus pour les amener à avancer dans le sens de l’Histoire et surtout du développement de leurs territoires.
Il y a donc deux options possibles :
accepter les réalités geo-économiques et aboutir à deux échelons pertinents (agglos/régions, soit 3 000 agglos/communautés de communes et 22+4 régions) avec éventuellement des dispositions à envisager pour les grandes agglomérations (arrondissements à la taille des communes actuelles) tout en sachant que certaines communes sont déjà techniquement pilotées par une seule direction générale agglo-commune ;
refuser le sens de l’Histoire et se replier sur des échelons anciens (communes/départements) qui font la part belle au clientélisme local, à l’émiettement financier (100 CG, 36 000 communes), à la prolifération d’élus et surtout à l’incapacité financière d’agir.
III. Les régions et les intercommunalités comme échelons pertinents de gouvernance
Les capacités financières des échelons territoriaux ne sont pas infinies, et plus l’échelon est petit, plus il consomme proportionnellement en frais de fonctionnement/structures.
Une petite ville aura tendance à lever un impôt élevé en valeur absolu alors qu’une région prélèvera une part très réduite, mais sur une assiette très large de population. A cela, viendront bien évidemment s’ajouter des taxes sur les entreprises (TP) et autres, mais dans une proportion « diluée ». Le découpage induit par des petites structures a eu, et aura, toujours une incidence sur l’effet frontière/effet d’aubaine : combien d’entreprises jouant sur la TP se sont placées d’un côté d’une RN et pas de l’autre ? Combien de communes ont joué et jouent bande à part pour conserver les subsides d’une forte implantation d’entreprises au détriment d’agglomérations ?
Quelles incidences cet émiettement a-t-il eu sur le développement du territoire ?
La réponse est simple : un étalement urbain, une explosion des disparités locales (notamment sur la taxe d’habitation et les taxes foncières) et une absence de cohérence de développement (chacun faisant sa vie dans son bout de territoire, sans forcément aller dans la logique d’ensemble).
Il s’agit de comprendre une mécanique globale à l’image de l’Union européenne :
Oui, l’Union européenne coûte cher en valeur absolue : mais quel poids en euros par habitants ?
Infiniment moins qu’un échelon local, car il n’y a qu’une seule assemblée, qu’un seul centre décisionnel, qu’une seule administration.
Le principe reste le même à l’échelle locale : plus la strate regroupe sur une échelle pertinente (l’aire urbaine étant le top pour une intercommunalité) plus elle optimise son action (cela évite deux piscines face à face) et plus elle mutualise ses moyens.
C’est donc un choix économique majeur que de définir les BONS échelons.
La situation actuelle étant la pire puisqu’elle cumule les échelons et donc les dépenses, sans parler des déperditions de temps et d’énergies pour les financements croisés et autres projets à validation « multiples »... je vous passe les détails.
IV. Les départements comme chevaux de Troie pour fusiller les régions
Sous prétexte de réforme, englué intellectuellement dans une méthode de pensée d’après-guerre (il suffit de lire H. Guaino pour comprendre dans quel siècle se situe la pensée), le gouvernement souhaite faire passer la logique politique avant la logique de l’intérêt national du pays.
L’article publié dans Le Monde le 27 juillet 2008 intitulé « Le rôle des régions et des départements revu en 2009 » est particulièrement éloquent tant les arguments sont faibles.
Alain Marleix, le secrétaire d’Etat aux collectivités locales en fait une parfaite illustration avec les élections régionales de 2010 en ligne de mire : "Les conseillers généraux ont une vraie existence sur le terrain (laquelle ?) et sont identifiés par les électeurs (des cantons), ce qui n’est pas le cas des conseillers régionaux (qui sont eux aussi souvent conseillers municipaux)".
On imagine qu’avec une argumentation de fond de ce type, sans parler du retour à un mode de scrutin de 1972 où les conseillers généraux siègent aussi en région, la préoccupation est bel et bien le fond des choses...
Un recul historique à vertu purement politique ?
Ce ne serait malheureusement plus une première.
En effet, il semblerait que les intellectuels rédacteurs de la RGPP pensent - après avoir émis l’idée de modifier les modes de scrutin par liste, déjà modifiés en 2004 avec les résultats que l’on connaît - tout simplement supprimer l’échelon régional pour en faire une simple instance de dialogue inter-départementale. A quoi bon alors avoir des rapports si c’est pour agir à l’inverse des préconisations ?
Sauvés par la loi « Liberté et responsabilités locales d’août 2004 » (postérieure aux élections), les départements (environ 50 dans chaque « camp ») constituent en effet une base d’élus plus solides pour la droite que les régions. Plus encore, le mode de scrutin uninominal (de « Barons » diront certains) a tendance à permettre, comme pour le Sénat et les communes, une sur-représentation rurale sur des secteurs à moindre poids démographiques : un facteur favorable à l’UMP.
L’attribution de missions lisibles comme l’attribution du RMI et la gestion des routes font des départements des échelons conservateurs par essence, il suffit du reste d’y constater la moyenne d’âge des élus.
Effectivement, N. Sarkozy n’avait pas besoin de changer les modes de scrutin ; autant carrément supprimer l’échelon régional, trop moderne et surtout trop à gauche, pour revenir à faire déterminer des majorités par des minorités comme les scrutins aux « cantonales » y conduisent. D’ailleurs, quelle pertinence pour ces cantons, n’ayant pour la majorité des cas aucune cohérence géographique ou économique ?
Certains m’objecteront « qu’avant » la France fonctionnait bien ( ?) avec les communes et les départements. Ils oublieront d’ajouter qu’à cette époque l’Etat était fort et « providence », que la population française était deux fois moindre et que la taille des agglomérations était divisée par trois. Ils pourront également omettre que les régions n’ont pas été initiées pour le plaisir - notamment sous Giscard et même Pompidou - et qu’elles ont un rôle économique majeur pour les territoires.
On pourra aussi me dire que les Français sont attachés à leur plaque d’immatriculation... supprimer l’échelon administratif départemental n’enlève en rien la possibilité de conserver des départements géographiques historiques. Il ne faut pas se tromper d’usage ni de siècle : si la France n’arrive pas à s’adapter à la réalité du XXIe siècle, il ne faudra pas s’étonner de constater un gouffre financier colossal. L’Etat « dotant » les échelons territoriaux pour 50 % de leurs budgets, la dette de l’Etat est aussi la dette répercutée du coût prohibitif des 36 000 communes notamment.
V. Un bilan sans appel
Le bilan est assez clair, et il y a deux choix possibles :
Accepter la modernité et faire le choix d’avoir une administration efficace, à une échelle pertinente, dotée de compétences bordées (un seul décideur, pitié !), d’agents bien rémunérés et permettant à l’Etat de dégager des marges budgétaires. Ce qui revient à limiter à deux échelons (agglos/régions) et à des élections par listes les échelons territoriaux.
Ce choix permettrait notamment de mutualiser, optimiser les décisions, renforcer le poids des élus, atteindre des tailles critiques de gestion et d’investissement et au final de se doter d’une administration décentralisée efficace. Cela pourrait également s’accompagner d’une réforme sur le fond de la fiscalité locale.
Refuser le réel et faire le choix de revenir a minima cinquante ans en arrière en ne supprimant pas les bons échelons pour revenir à une République émiettée (communes, départements), à une échelle inadaptée, à des modes de scrutin d’un autre temps donnant la part belle aux édiles locaux et aux ententes de circonstances, d’agents mal rémunérés avec des marges de manoeuvre budgétaires limitées.
Cela revient également à avoir deux échelons, à établir le même constat et à accompagner de la sauce habituelle de concertation factice et autres expérimentations : mais ce n’est pas le sens du progrès.
Ce choix aurait des conséquences lourdes en termes de réorganisation des personnels, de gestion des locaux et des projets avec la scission de dispositifs plutôt que leur mutualisation.
La France reviendrait à avoir des échelons émiettés comme la Roumanie, la Moldavie (hors UE) ou... l’Angleterre (hors RU) et ne permettrait toujours pas une réforme de la fiscalité locale sans avoir à créer mécaniquement un territoire à disparités variables (ruraux, urbains, côtiers, montagnards, frontaliers, etc.).
En regardant une carte de l’Union européenne, on constate que seule la Grande-Bretagne, pour des raisons d’organisation très différentes de la France, a opté pour une administration émiettée. Elle le paie d’ailleurs cher sur les relations bilatérales (région à région) avec des partenariats très limités.
Plutôt que de suivre l’exemple européen, allons-nous une nouvelle fois suivre le mythe anglo-saxon dans une société qui n’a ni les structures ni la souplesse anglo-saxonne ?
Cette politique de court terme fera perdre vingt ans à la France : en donnant tous pouvoirs à la féodalité, le gouvernement fait délibérément un choix réactionnaire et rétrograde : s’il était si fier de ses dispositions, pourquoi craindrait-il des élections démocratiques en 2010 ?
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