Monday, January 03, 2011
Algérie 2011 l’entrepreneurship
L’entrepreneurship est la voie la plus sûre du développement
Oui. Et la leçon nous vient du Rwanda, du Chili, d’Islande et de nombreux autres pays qui ont fait des avancées spectaculaires dans les différents classements internationaux. Les récentes études démontrent que ce n’est, paradoxalement, pas l’existence de moyens qui a produit ces performances mais l’esprit entrepreneurial. À méditer.
Mon point de vue est le suivant : au regard de leur histoire ancienne et récente et de leurs réalisations, les entrepreneurs algériens sont porteurs des attributs de l’entrepreneurship. Ces entrepreneurs existent tant dans le secteur économique que dans le champ social (CSO).
La preuve ? Dans un contexte d’économie rentière et cloisonnée, de nombreux individus arrivent à trouver des solutions dans un système qui décourage les plus téméraires.
Toutefois, l’environnement très hostile, le conservatisme et le complexe vis-à-vis de la richesse et de la réussite rendent ces “successful persons” et ces “success stories” peu visibles.
Au commencement de l’Algérie indépendante
“Daring visionaries”, des visionnaires audacieux. Voilà les deux caractéristiques des six héros qui ont déclaré la Révolution algérienne en 1954. Contre la volonté de tous, ils ont imaginé un autre avenir pour l’Algérie et ils ont osé. On connaît la suite.
Les premiers managers de l’Algérie indépendante racontent leur expérience industrielle comme un prolongement de cette révolution. D’ailleurs, on a longtemps parlé de “révolution industrielle”, de “révolution agraire”… Ces entrepreneurs révolutionnaires racontent leurs expériences comme une épopée. Je garde en mémoire les témoignages de ceux qui racontaient avec une grande émotion comment ils ont permis de maintenir l’activité de la Radio et de la Télévision algériennes, des hôpitaux, des usines, de l’université, etc. Faut-il rappeler qu’au lendemain de l’Indépendance, la situation était tellement catastrophique qu’il fallait un courage de révolutionnaire pour surmonter les obstacles. Il fallut remplacer en un temps record le système économique et l’appareil administratif laissés vides par le départ massif et rapide des colons.
Nous devons à cet esprit entrepreneurial, dans le secteur public et privé, bon nombre de réalisations économiques et sociales de l’Algérie indépendante.
De l’économie de rente à l’économie de marché
Mais c’est dans les années 1990, avec le vent des réformes que l’esprit entrepreneurial s’est le plus et le mieux manifesté. De plus en plus de personnes croyaient le rêve possible et nous avons assisté à des mutations rapides. C’était le début de l’ère des évangélistes qui nous ont permis, en un temps record, de goûter aux produits et services de standard international. Le nombre d’entreprises et d’associations de la société civile créées a progressé en un temps record. Les entrepreneurs ont vite perçu les opportunités et compris la nécessité de substituer aux attributs de la rente les facteurs-clés de succès d’une économie de marché. Nous devons à cet élan entrepreneurial les succes stories dans différents domaines d’activité : industrie agroalimentaire, édition, presse, Internet, agriculture, assurances, catering…
Avec l’ouverture économique, les Algériens ont eu la preuve que les énergies libérées pouvaient créer des miracles. À la faveur de cette ouverture, l’entrepreneurship social s’est également développé : la grande majorité des associations de la société civile sont nées pendant cette période. Nous avons même observé des innovations et de grandes améliorations dans le management public : Banque centrale, banques publiques, la Télévision nationale, les compagnies de transport…
Malheureusement, cet élan fut stoppé par la décennie noire qui a bouleversé de nombreuses donnes. La sortie de cette crise a coïncidé avec la crise financière et la crise économique mondiales qui ont remis au goût du jour le centralisme étatique.
Quelques résultats
Malgré les nombreuses contraintes et le faible espace d’expression de la force entrepreneuriale, les résultats parlent d’eux-mêmes. Citons quelques exemples :
En Algérie. on crée de plus en plus d’entreprises : 455 989 PME (dont seulement 591 publiques) sont dénombrées à la fin de 2009 sur un total de plus de 1,4 million d’entreprises inscrites au registre du commerce. Les microentreprises privées (employant moins de 10 personnes) représentent près de 96% du total des PME.
Le privé algérien est le plus grand employeur : 2 personnes occupées sur 3 travaillent dans le secteur privé, soit un total de 6,23 millions de personnes (non inclus le secteur informel).
Le privé algérien crée l’essentiel de la valeur ajoutée : le secteur privé, porté essentiellement par la PME, représente plus de 52% du PIB en Algérie depuis 2008.
Ce taux de PME (1,2 PME pour 100 habitants) reste faible par rapport au chiffre de l’ordre de 3 à 4 PME pour 100 habitants dans les pays émergents et de 4 à 4,3 dans les pays développés. La création de la richesse en dehors des hydrocarbures reste faible. Il est donc important de garder à l’esprit que ces performances sont réalisées dans les conditions peu favorables de l’environnement des affaires en Algérie (voir les rapports Doing Business des dernières années).
Plus que des valeurs absolues, ces chiffres sont donc des indicateurs de ce que pourraient réaliser des entrepreneurs libérés des entraves de la bureaucratie.
Pourquoi les entrepreneurs en Algérie sont-ils peu visibles ? Pour des tas de raisons. Psychologiques, sociologiques et économiques. Cachez-nous ces entrepreneurs qu’on ne saurait voir, semblons-nous dire. Car afficher la réussite chez nous est mal vu. Des sagas, que Abdelatif Benachenhou a bien identifiées dans son livre sur les entrepreneurs algériens, on n’en veut pas. Deux générations, dont celle aux commandes ces dernières années, ont été élevées avec un idéal socialiste égalitariste. La victoire est collective et non individuelle, nous a-t-on inculqué.
Cette orientation est confortée par la culture religieuse soufie longtemps dominante dans notre pays et qui recommande de “cacher à la main gauche ce que la droite donne comme aumône”. Les campagnes “Mains propres” et le climat de suspicion à l’égard des entrepreneurs, dont les actes de gestion relèvent du pénal, ont fini par venir à bout de nombreuses belles initiatives.
Les martyrs reviendront cette semaine, amen
Mais je demeure convaincu que la force entrepreneuriale en Algérie n’attend que son heure pour pouvoir s’exprimer. Non, l’esprit de la rente ne viendra pas à bout de l’esprit entrepreneurial. Je le vois dans la force des jeunes qui continuent à lancer des activités, dans les IT, la communication, dans les tentatives répétées et incessantes de la diaspora, dans l’esprit téméraire des patrons de PME qui, face à des contraintes des plus aberrantes, continuent à produire et à créer de la valeur en Algérie.
Et si comme l’auteur de la fameuse pièce théâtrale, on se met à rêver que les entrepreneurs reviendront cette semaine ?
Rêvons. Si le gisement de l’économie informelle était canalisé ? Et si la diaspora algérienne était sérieusement intégrée dans un vrai projet de développement économique ? Et si la jeunesse, créative à plus d’un titre et porteuse d’une identité de synthèse, avait l’occasion de s’exprimer ? Et si les associations étaient libérées de toutes contraintes ?…
Ces énergies entrepreneuriales libérées produiront à coup sûr le miracle attendu, car l’Algérie possède en ce moment – mais pas pour longtemps — les deux ingrédients qui manquent à de nombreux autres pays : l’argent et le marché.
Quand cela se produira-t-il ?
Le “Tipping Point”
Malcom Gladwell, dans son fameux livre the Tipping Point, décrit ce moment crucial où l’énergie entrepreneuriale se transforme en force, en action produisant le changement. Il décrit le processus de généralisation de ce mouvement comme une épidémie. Il en énumère trois caractéristiques : la première est que les personnes sont “ infectées” par ces comportements et ils les reproduisent. L’un des héros de la Révolution, Larbi Ben M’hidi, avait dit : “Jetez la Révolution au peuple, il la portera.” De nombreux exemples similaires sont observables dans des secteurs économiques et sociaux en Algérie. Dès qu’ils atteindront le “seuil critique” (le tipping point), ils s’exprimeront de plus belle. Je pense aux secteurs des IT, Web services, medias, agro-industrie, services d’appui aux hydrocarbures… et chez les CSO : promotion des droits de la femme, éducation, promotion régionale, environnement… La deuxième considère que les petits changements produisent les grands effets. Et là réside, selon moi, le drame de l’action économique et sociale en Algérie. L’absence de cette culture incrémentale ankylose l’action des acteurs qui substituent au “think global, act local” universel, un “think global, act global” bien algérien ! Que n’a-t-on pas vu de “stratégies” en Algérie ?
À l’impératif d’agir, on propose d’élaborer une stratégie globale. Il est clair que “act global” veut dire “don’t act” !
Conclusion ? Il est important, pour la promotion de l’esprit entrepreneurial en Algérie, de travailler à faire connaître les succes stories et leurs effets socioéconomiques. N’oublions pas : 2 personnes sur 3 sont employées par le privé tant décrié, non compris le secteur informel. Et si on libérait les énergies ?
Troisièmement, les changements arrivent soudainement et ne se font pas lentement. Il ne sert à rien d’attendre et de progresser trop lentement. Nous avons perdu trop de temps à réessayer des solutions qui ne marcheront jamais.
L’État entrepreneur
Le rôle des pouvoirs publics est de proposer une vision, la partager et réunir les conditions d’expression pour cette force entrepreneuriale. Il s’agit, en premier lieu, de dépasser le climat de suspicion et de “présomption de culpabilité” que nous nous renvoyons les uns aux autres. Nul salut sans un partenariat public privé, pour utiliser un terme à la mode.
Les acteurs du renouveau économique sont là en attente de pouvoir contribuer à bâtir une Algérie prospère : les entreprises privées, les cadres marginalisés, la diaspora, les associations de la société civile, la presse, les universitaires…
Un État entrepreneur devra rétablir la confiance avec ces acteurs, les écouter avant de proposer une vision et un projet de réformes économiques. À partir de là, faisons confiance à ces entrepreneurs. Ils sauront faire. Ils l’ont déjà prouvé.
source: Liberte (Abdelkrim BOUDRA)
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