Politique française de délivrance de visas : Les Algériens très lésés
Les consulats de France en Algérie battent le record en matière de refus de demandes de visa avec une moyenne de 35% de dossiers rejetés, 14% seulement au Maroc. Le taux moyen de refus par les consulats de France dans le monde ne dépasse pas les 9,6%. Les Algériens sont les plus lésés dans la politique française de délivrance de visas. Les conclusions du rapport de la Cimade, une association française qui défend les droits des étrangers immigrés en France, confirment une réalité longtemps dénoncée en Algérie. Cette association a mené, durant l’année 2009, une enquête « Visa refusé », sur les conditions d’octroi des visas dans six pays différents, dont l’Algérie. Afin de dénoncer les inégalités dans le traitement des dossiers, les enquêteurs de la Cimade ont, lit-on dans le rapport, mené des missions d’observation d’une quinzaine de jours dans chacun des pays concernés par l’étude.
Dans la partie concernant l’Algérie, la Cimade relève d’emblée le taux extrêmement élevé de refus de visa enregistré. En effet, l’Algérie figure en pole position des pays où l’on refuse le plus les demandes de visa : « Environ 35% des dossiers sont rejetés, alors que le taux moyen de refus n’est que de 9,6% pour l’ensemble des consulats de France à l’étranger. Chez le voisin marocain, le taux de refus de visa est évalué à 14%. C’est un record. En Algérie, c’est le taux faramineux de refus de délivrance de visas qui est en cause ; trois fois plus élevé que la moyenne des autres consulats de France », relève la Cimade. Outre les taux excessifs de refus de visa, le rapport souligne aussi l’absence intrigante de motivation du rejet des demandes. C’est d’ailleurs la préoccupation majeure des demandeurs algériens. Les enquêteurs de la Cimade ont rapporté des témoignages de certaines personnes confrontées à cette situation. « On ne nous donne aucune information lors du dépôt. S’il manque des informations pourquoi ne pas le dire tout de suite ? On nous laisse déposer le dossier pour ensuite refuser le visa parce qu’il manque telle ou telle pièce », déplore un témoin.
Une autre personne interrogée, répond sur un ton ironique : « Le visa pour la France, c’est comme acheter un ticket de loto. C’est payant, mais on ne gagne pas à tous les coups. Mais est-ce que la France a vraiment besoin des 6000 DA d’un pauvre malheureux ? » D’autres témoins interrogés expriment, selon le document, une profonde déception vis-à-vis de la France, non seulement parce qu’elle représente « le pays des droits de l’homme », mais encore en raison des liens historiques qui lient les deux pays. « Cette absence totale de transparence est un choc pour un pays qui se dit démocratique. Le fait que la France soit sous pression, nous pouvons l’accepter mais cela n’explique pas tout. Je ne peux pas accepter qu’un pays comme la France, qui se dit démocratique (...), vienne aujourd’hui appliquer des règles de non-droit qui vont à l’encontre d’un idéal qu’il promeut et qu’il a lui-même créé », commente un autre Algérien.
Face à ses nombreuses plaintes, le consulat et l’ambassade de France à Alger tentent de justifier. « Ces refus s’expliquent par le risque médical, c’est-à-dire, la crainte que des personnes âgées ne veuillent venir en France uniquement pour se faire soigner et qu’elles grèvent ainsi sur le budget de la Sécurité sociale française. » Ils avancent également l’argument du « risque migratoire ». Ces arguments ne semblent pas convaincre la Cimade qui critique justement l’absence de motivation des refus de visa. « La non-motivation de ces refus de visa provoque l’incompréhension des intéressés et, par voie de conséquence, du ressentiment envers la France », souligne l’association.
Possibilité de recours ignorée
Le même rapport met l’accent aussi sur les problèmes que rencontrent des commerçants algériens qui s’approvisionnent à Paris et à Marseille pour faire renouveler leur visa de circulation dans le cadre de leur activité professionnelle. Pour les visas d’études, l’organisation note les lourdeurs des procédures qui font que les étudiants algériens ne rejoignent les établissements qu’après le début de l’année universitaire. « Les délais administratifs, tant du côté algérien que français, sont très souvent longs. Il arrive fréquemment que l’étudiant ne puisse rejoindre l’établissement français qu’après le début de l’année universitaire », explique le rapport. Et d’ajouter : « Du côté algérien, la commission qui examine le dossier de l’étudiant est composée d’universitaires algériens qui connaissent mal les structures universitaires françaises et leurs évolutions récentes. Et cela provoque des avis négatifs injustifiés. »
Dans le même ordre d’idées, la Cimade critique l’absence de communication sur les possibilités de recours. « A aucun moment, il n’est avisé de la possibilité d’exercer un recours contentieux », explique-t-on encore. « En général, ils (les demandeurs algériens) connaissent la possibilité d’exercer un recours gracieux, mais ils n’ont pas toujours connaissance de l’existence de la commission des recours de Nantes contre les refus de visa, et encore moins de la possibilité de saisir le Conseil d’Etat. L’information sur les possibilités de recours apparaît sur le site Internet du consulat d’Alger, mais seulement en allant dans la Foire aux questions », précise la Cimade qui a conclu son rapport avec des recommandations.
« Les refus seront motivés à partir de mars 2011 », selon le ministre de l’immigration
Le ministère français de l’Immigration a réagi au rapport accablant de la Cimade sur les conditions de délivrance de visa aux étrangers. Dans une déclaration à l’Agence française de presse (AFP), le département que dirige Eric Besson affirme qu’à partir du 5 mars 2011, les refus des pays de l’espace de Schengen de délivrer un visa de court séjour seront motivés. « A compter du 5 mars 2011, tous les refus de visa de court séjour seront motivés en vertu d’une obligation introduite par le code communautaire des visas, adopté le 13 juillet 2009 par l’UE », précise la même source. Le ministère français rappelle en outre que le code communautaire des visas (CCV) fixe à 15 jours le délai maximal d’instruction des dossiers, « sauf pour les dossiers posant problème ». « Les dossiers simples peuvent être traités dans la journée », précise-t-il. Le CCV fixe aussi les frais d’instruction des dossiers à 60 euros pour un visa de court séjour, auxquels peuvent s’ajouter 30 euros au maximum si la prestation est externalisée.
Propositions de la Cimade
La Cimade a donné un certain nombre de propositions pour améliorer la situation. Elle propose d’abord de créer un droit au visa pour certaines catégories de demandeurs (telles que les personnes dont le droit de vivre en famille est protégé par des textes internationaux) et de fixer, pour les autres, des critères limitatifs sur lesquels peuvent se fonder un refus de délivrance de visa (comme c’est actuellement le cas pour les visas sollicités par les conjoints de Français). L’association exige aussi la fixation par décret de la liste des pièces justificatives à fournir pour chaque type de demande de visa. Elle suggère aussi la généralisation de la délivrance d’un récépissé de demande de visa (comme c’est actuellement le cas pour les visas des conjoints de Français). Pour réduire les délais de traitement de dossier, l’organisation propose aussi d’« imposer aux consulats une réponse dans le délai imparti, pour en finir avec le régime actuel de refus implicite de délivrance de visa » et d’instaurer l’obligation d’une motivation circonstanciée des refus de visa pour tous les demandeurs.
Par Madjid Makedhi
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