Par Léa-Lisa Westerhoff
Et c'est au Festival du film de Marrakech qu'une telle projection, totalement inédite sur le continent africain, a eu lieu. A l'affiche, A la recherche du mari de ma femme du réalisateur marocain Mohamed Abderrahmane Tazi. Enthousiasme de la centaine de mal-voyants accrédités qui espèrent que cette expérience se généralisera vite. Reportage.
Dans la salle obscure, la plupart des spectateurs portent des lunettes noires et un casque sur les oreilles. Les visages sont concentrés. La séance est rare. Au programme : le mythique Breakfast at Tiffany ‘s de Blake Edwards en audiodescription. « Ils poussent la porte tournante de chez Tiffany », raconte une voix dans les écouteurs. « Dolly enlève ses lunettes noires et regarde autour d’elle avec ravissement. » « Est-ce que vous aimez ? » demande alors Audrey Hepburn dans le rôle de Dolly.
La plupart des spectateurs installés dans les fauteuils sont mal ou non-voyants. Dans leurs casques une voix off leur décrit les éléments indispensables à la compréhension du film pendant les silences entre les dialogues. Au Maroc, comme sur tout le continent, l’audio description est inexistante dans les salles de cinéma.Le festival international du film de Marrakech veut faire office de pionnier ; pour la deuxième année consécutive cinq films adaptés aux non-voyants ont été programmés. Au menu, Les vacances de Monsieur Hulot du français Jacques Tati, Good Bye Lenin ! de l’allemand Wolfgang Becker, mais surtout pour la première fois un film marocain audio-décrit en arabe, A la recherche du mari de ma femme, du réalisateur marocain Mohamed Abderrahmane Tazi. « C’est une première en Afrique et dans le monde arabe ! », explique Rachid Sebbahi, journaliste à la radio publique marocaine et coorganisateur de cette programmation. « Même l’Egypte, qui a beaucoup plus de productions cinématographiques, ne le fait pas ! ». Dans la salle de projection du festival, la centaine de spectateurs est enthousiaste. « J’avais été voir ce film avec quelqu’un de ma famille, mais avec l’audiodescription c’est comme de le revoir », explique Fatima Akhatar, professeure de Lettres : « On n'a plus besoin d’embêter la personne voyante à côté de nous pour lui demander qu’est-ce qu’ils ont fait, qu’est ce qu’il se passe
Avant on ne savait pas si quelqu’un est sorti du taxi, ou bien quand les acteurs s’embrassent on ne le voit pas ! Maintenant on comprend mieux», raconte enthousiaste, Malika Samit, professeur de musique pour non-voyants à Casablanca.Cent personnes ont été accréditées pour participer au festival international du film de Marrakech, mais on estime qu’il y a entre 400 000 et 600 000 personnes malvoyantes ou aveugles au Maroc. Le cinéma pour aveugle reste un luxe accessible à peu de personnes au Maroc. Pourtant, l’adaptation est peu coûteuse ; 5 000 euros pour l’écriture du texte, l’enregistrement, le montage, le mixage et la réalisation des fichiers nécessaires à la diffusion en salle ou en DVD, selon l’association française Valentin Haüy au service des aveugles. « Il y a un manque de prise de conscience que les handicapés sont des gens comme les autres, qu’ils ont droit au cinéma et qu’ils sont un public potentiel», estime le directeur du Centre de cinématographie marocain, Nour-Eddine Saïl. « L’important c’est de commencer ». Le festival de cinéma de Dubaï envisagerait d'emboiter le pas à Marrakech. En France, l’audiovision fêtait ses vingt ans d’existence il y a deux semaines, mais là aussi le genre a du mal à s’imposer avec, chaque année, seulement cinq ou six sorties en salles de longs métrages adaptés aux aveugles et seulement une dizaine de cinémas qui proposent l’audiovision. « Cette opération n’est pas évidente », nuance Nour-Eddine Saïl : « En Europe il y a des aides. Tout cela n’existe pas ici. Les producteurs ou les distributeurs n’aiment pas trop l’idée de rajouter 5 000 euros à leurs frais ». Il y aussi les difficultés économiques avec le piratage et le manque de public. En 2008, 2,9 millions de personnes sont allés au cinéma au Maroc pour une quarantaine de millions à la fin des années 70, selon le CCM. Dans la salle de projection du festival de Marrakech, Breakfast at Tiffany’s se termine sur un happy end : Audrey Hepburn et George Peppard échangent un long baiser sous la pluie. Rabia, standardiste à Casablanca, aimerait que l’audiodescription soit élargi à la télévision : « C’est très important pour les non voyants, pour qu’ils soient toujours indépendants, qu’ils puissent être comme tout le monde », explique la jeune femme. « On ne veut que ce soit seulement pour un film mais pour tous les films au Maroc et surtout les productions télévisées», la jeune femme rit et ajoute « inch allah ! ».
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