JACQUES HUBERT-RODIER
Rêve méditerranéen et réalité européenne
Et si l'Union pour la Méditerranée, ce projet lancé en grande pompe la veille du 14 juillet 2008 par le président Nicolas Sarkozy, n'était pas morte ? Un peu loin des projecteurs de l'actualité euroméditerranéenne centrés sur la Grèce et son sauvetage, la semaine dernière son premier secrétaire général, un diplomate jordanien, Ahmad Massa'deh, a pris ses fonctions lors d'une cérémonie à Barcelone avec les représentants des 43 pays engagés dans ce processus.
Après nombre de tractations, byzantines, pour surmonter des obstacles qui semblaient encore il y a peu insurmon-tables, six postes de secrétaire général adjoint ont été répartis : un Palestinien en charge de l'eau et de l'environnement, un Israélien pour l'enseignement, un Turc pour les transports, un Maltais pour les affaires sociales, un Grec pour l'énergie, et un Italien pour le financement des projets et des PME. Et l'on espère qu'un représentant d'un pays du Maghreb, Maroc ou Tunisie, soit désigné, lors du prochain sommet des chefs d'Etat ou de gouvernement de juin prochain en Espagne, à la coprésidence pour le Sud, une fonction occupée actuellement par l'Egypte.
Tout cela tient du « petit miracle », comme l'a dit la semaine dernière à Barcelone le ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner. Surtout si l'on remonte à novembre dernier où l'annulation du sommet prévu à Istanbul en raison de la crise de Gaza avait été considérée comme la mort de l'institution naissante.
Mais il y a aussi le facteur « chance ». L'Espagne, après avoir obtenu le siège à Barcelone du secrétariat, assure actuellement la présidence tournante de l'Union européenne et a voulu reprendre le flambeau de la France pour l'Euroméditerannée qui apparaît ainsi en continuité avec le processus, moribond, de Barcelone de 1995.
Et l'on peut encore ajouter le fait que, le week-end dernier, comme si l'on parvenait enfin à rapprocher les deux rives du bassin, à Grenade, l'une des villes symboles mêmes du mélange des civilisations méditerranéennes, le Maroc a été le premier pays arabe et du Sud à partager un sommet avec l'Union européenne à vingt-sept.
Tout cela pourrait n'être qu'institutionnel. Mais aujourd'hui les promoteurs de l'Union pour la Méditerranée (UPM) veulent mettre en avant de premières réalisations concrètes notamment dans le cadre du plan solaire et la mobilisation de financements privés à côté de financements nationaux et multilatéraux. Le Japon même aurait pris des engagements et plus de 230 projets, dans l'éducation, le solaire, les autoroutes de la mer, l'enseignement ou encore la protection civile ont été examinés. L'idée des promoteurs est de parvenir à une sorte de « géométrie variable » entre les différents pays pour le financement des projets afin qu'aucun ne puisse bloquer à lui seul l'ensemble comme ce fut le cas avec la règle de l'unanimité dans l'Union européenne dans certains domaines. Et que les financements publics aient un effet de levier. Politiquement, seule la Libye boude encore le projet. Certes ! Il faut reconnaître une incontestable, et discrète, avancée.
Mais est-ce à dire que l'UPM pourrait jouer le rôle de ce que fut en son temps la Communauté européenne du charbon et de l'acier (Ceca) qui avait permis de mettre les bases de ce qui est devenu l'Union européenne ?
On en est évidemment très loin. Les rives nord et sud de la Méditerranée restent toujours éloignées, et il ne s'agit pas de géographie par la mer, mais par les niveaux disparates de développement entre les deux rives. La suspicion existe toujours. Les relations entre la France et l'Algérie sont très loin d'être apaisées. Le Maghreb, ni le « petit » (Algérie, Maroc, Tunisie) ni, a fortiori, le grand (avec la Mauritanie, toute la Libye), n'existe en tant qu'entité économique. Même la question de Chypre n'est pas résolue.
De plus, contrairement à ce qui s'est passé dans les années 1950 en Europe entre Français, Allemands et Italiens, les Israéliens et les Palestiniens n'ont pas encore pris le chemin de la paix. Ce qui rend très difficile la réalisation au Proche-Orient de ce projet. Aujourd'hui, la Turquie, dont l'entrée dans l'Union européenne est de plus en plus lointaine si ce n'est définitivement ajournée, se tourne vers son autre espace, vers l'est, vers l'Iran notamment. Ce qui risque encore plus de compliquer les choses. Et il n'est pas encore certain que l'Allemagne, après avoir torpillé le projet initial du président Sarkozy d'Union méditerranéenne qui visait avant tout à sortir du « paternalisme » dans les relations nord-sud du bassin, soit totalement convaincue de cette nouvelle institution alors que l'heure est au resserrement des politiques budgétaires dans toute l'Europe. La Commission européenne n'a, elle, accepté d'y participer qu'à reculons. Ce qui a obligé à élargir le projet aux 27 pays européens y compris au nord. De plus, en France même les jalousies entre diplomates et conseillers à l'Elysée n'ont pas toujours facilité la tâche du lancement du projet. La finalité de l'entreprise, celle d'un jour parvenir à assurer la paix, la stabilité et la prospérité, entre tous les voisins de la rive sud, n'est en tout cas pas pour demain.
Mais là où les promoteurs de l'UPM ont raison, c'est qu'il faudra bien, non pas quelques mois, mais dix ou vingt ans, pour voir si les projets encouragés par cette institution ont bien été réalisés. C'est à cette aune-là que l'on pourra juger, la réussite ou l'échec, et non pas seulement à la capacité de construire une nouvelle institution et à réunir des sommets. Le rêve méditerranéen attend, lui, depuis si longtemps.
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