ENTRETIEN AVEC M. SALAH AMOKRANE, DIRECTEUR DE L’OPNT
“Les chercheurs internationaux s’intéressent au Tassili”
Par : Nahla RifLu Liberté : Le parc en tant que réserve de biosphère est une aire protégée, comment ?Salah Amokrane : Il faut savoir que le Tassili est connu grâce à l’art rupestre qui a fait sa renommée mondiale après la découverte dans les années 1930 des gravures par les militaires français. Toutefois, pour nous, il ne s’agit pas d’une découverte, les habitants du Tassili ont vécu avec ces gravures pendant des millénaires. Et c’est Béchar Djebril un Kel Médek, un Touareg du Médek qui avant l’indépendance, fit la renommée internationale de cet héritage culturel important grâce entre autres aux expositions de Paris dans les années cinquante et a induit au classement du Parc en 1972, bien avant la convention du patrimoine mondial. Aujourd’hui, c’est l’entité administrative du parc, en l’occurrence l’office, qui se charge de répertorier, d’inventorier, de gérer,… De 1972 à 1982, il y a eu un travail colossal de conservation, de préservation et de mise en valeur. En 1982, le Parc est porté sur la liste du patrimoine mondial de l’Humanité. En 1986, le Tassili est inscrit au réseau MAD (Man and Biosphere). En 2001, la zone humide à savoir la guelta d’Ihrir est portée sur la liste de Ramsar. Tous ces classements témoignent de cette richesse.
Qu’en est-il de la biodiversité et qu’apportent formellement de plus au Tassili tous ces classements ? La biosphère, c’est la biodiversité. Les classements valorisent davantage cette zone. Ils constituent une balise de plus. De plus, il n’est pas donné à n’importe quel site d’être porté sur la liste de Ramsar ! L’intérêt s’explique par rapport à la biodiversité propre à la zone et par rapport aux zones humides. L’intérêt du Tassili n’est pas relatif à l’Algérie seulement mais surtout par rapport à la zone : le parc est un écosystème important de par sa situation au cœur du Sahara déjà. Il est particulier par sa biodiversité et par ses espèces endémiques comme le cyprès du Tassili. C’est cette diversité propre qui est intéressante aujourd’hui et qui le sera davantage dans l’avenir notamment avec le réchauffement climatique et la capacité, voire le capital d’adaptation de ces espèces faunistiques et floristiques dites d’avenir et sur lesquels se penchent déjà les chercheurs internationaux.
Le Parc du Tassili, intéresse-t-il, par rapport à ces aspects précités, les chercheurs notamment nationaux, dans les différents domaines ? Le parc est organisé en départements de conservation et en différents services qui concernent aussi bien le patrimoine naturel, faune et flore mais aussi le département archéologie qui s’intéresse à l’art rupestre… Il faut toutefois savoir que la mission du Parc est la conservation et la valorisation. L’intérêt porté par nos universités, à titre d’exemple, se matérialise à travers les programmes de recherche qui s’intéressent par exemple à la géologie et aux poissons des gueltas, entre autres. Nous avons récemment élaboré le numéro un d’une revue scientifique annuelle intitulée Racines sortie en décembre dernier – il s’agit d’une publication annuelle dans laquelle il est question de la faune, de la flore et de tous les aspects afférant à la préservation du Parc. Elle répond au standard international.
Comment conciliez-vous préservation du patrimoine et tourisme ? Le tourisme étant une activité commerciale, il dépend des différentes agences de voyage et de la direction du Tourisme de la wilaya d’Illizi. L’Office du Parc, quant à lui, doit veiller au respect et à la protection du site. Nous veillons à ce que la coordination intersectorielle soit efficiente. C’est ce qui est important à nos yeux.
Le Parc du Tassili est-il concerné par la convention sur la biodiversité biologique ? L’Algérie l’a ratifiée, en effet. Il faut savoir que le Parc national du Tassili dépend du ministère de la Culture. Alors que les parcs nationaux du nord dépendent de la DGF, donc du ministère de l’Agriculture. La particularité du Tassili est qu’il est à la fois parc culturel et naturel. Dans les représentations des fresques qui datent de 12 000 ans, il y a des représentations de l’homme et de l’environnement… Quant au territoire du parc qui a une superficie de 10 000 kilomètres carrés, nous avons carrément des “limites” d’État puisque à l’est, c’est la frontière de l’Algérie avec la Libye, au sud c’est avec le Niger et à l’ouest avec le Parc national de l’Ahaggar et au nord c’est une série dunaire.
Le parc abrite-t-il des espèces menacées de disparition ? Il y a en effet des espèces inscrites sur la liste rouge comme le guépard qui se multiplie difficilement, il serait question d’un problème de consanguinité de cette espèce qui aurait dû disparaître il y a longtemps déjà. Il y a aussi le cyprès qui non plus ne se reproduit pas naturellement. La Fondation Sonatrach-Tassili avec l’université de Tizi Ouzou ont à juste titre l’intention de le reproduire in vitro. Leur disparition n’est pas inhérente à des facteurs anthropiques, vu que les habitats naturels sont parfaitement préservés, la pression de l’homme que ce soit à Djanet, Illizi ou à Bordj El Haoues étant quasi inexistante dans le désert. Il s’agit d’une nouvelle vision de la conservation type grillage gardien à l’association de tous.
Êtes-vous dotés de moyens (logistiques, financiers, etc.) pour gérer le parc comme des hélicoptères par exemple ? Non, nous avons par contre des Toyota… Néanmoins le ministère gère cet aspect. Nous avons été dotés en moyens de locomotion et en moyens techniques. Il faut savoir que le Tassili est le seul patrimoine mixte – naturel et culturel – de la région arabe. Il faut savoir qu’à l’Unesco, le classement est régional (par région). Nous sommes, par ailleurs, en train de réaliser la trame de surveillance et de tours de contrôle dont les études ont été réalisées. Nous sommes depuis 2005 dans une dynamique particulière.
Travaillez-vous en collaboration avec d’autres conservateurs nationaux et étrangers ?Oui, mais cela reste timide. Nous travaillons avec nos collègues de la région arabe, marocains, mais aussi jordaniens. Ils veulent en savoir davantage sur l’expérience du Tassili. Ils préparent un dossier pour proposer au classement un site mixte.
Êtes-vous au courant du programme gouvernemental de revalorisation des ksour et des régions enclavées du Sud dans le cadre de la résorption de l’habitat précaire en Algérie d’ici 2014 ? Djanet en abritent bien et le parc inclut bien entendu la ville en question ? Non. Néanmoins, pour les Ksour de Djanet, il faut savoir que nous avons préparé un dossier de classement en vue de leur restauration et pour asseoir l’aspect réglementaire, vu qu’aujourd’hui pareilles interventions ne peuvent se faire que par les spécialistes.
En quoi consiste la sensibilisation pour faire connaître, voire découvrir le Tassili ? Une journée d’étude à Alger sur le rôle des médias dans la valorisation des sites et parcs culturels. Plusieurs programmes sont élaborés soit avec les scolaires soit avec les associations soit avec les locaux.
No comments:
Post a Comment