Peut-on sauver la mer Morte ?Marie VERDIER
Si rien n’est entrepris, la mer Morte disparaîtra d’ici à 2050. Le pharaonique projet « Red-Dead » sera-t-il réalisé ?
La mer Morte est-elle condamnée ? Porte-t-elle un nom prédestiné ? Tous les projets de sauvetage de cette curiosité planétaire tapie à 400 mètres en dessous du niveau de la mer se sont enlisés au fil des décennies et des conflits entre riverains, Israéliens, Palestiniens et Jordaniens. Et la mer Morte d’agoniser. Elle rétrécit, se recroqueville à grande vitesse. Son niveau baisse d’un mètre par an environ. En quarante ans, sa superficie, estimée à 1 000 km2 en 1960, s’est réduite d’un tiers. À ce rythme, elle aura disparu en 2050. Parce que le taux d’évaporation est très élevé dans ce paysage grillé par le soleil : deux milliards de mètres cubes s’évaporent chaque année.Et surtout parce que cette évaporation n’est plus compensée par un apport d’eau douce. Les eaux du Jourdain et de ses trois affluents qui se jettent dans la mer Morte ont été massivement détournées pour satisfaire les besoins humains dans cette région qui est l’une des plus déficitaires en eau. « Le débit du Jourdain était de 1 250 millions de mètres cubes dans les années 1950, il n’était plus que de 290 millions en 2000 », précise Jean-François Richard de l’Agence française de développement (AFD).Ce qui fut le Nil de la région n’est plus, à son embouchure, qu’un filet d’eau et même « un égout à ciel ouvert », comme le reconnaît le géographe François Mancebo de l’université Joseph-Fourier de Grenoble, les eaux usées étant déversées sans aucun traitement dans les rivières. « La question n’est pas de savoir si on peut sauver la mer Morte, mais plutôt si on peut faire autrement que de la sauver », poursuit le géographe. Mais le énième projet de coopération tripartite annoncé lors du sommet de la Terre de Johannesbourg en 2002 n’arrive pas à prendre son envol, dans un contexte politique peu porteur.
Un projet difficilement réalisableDe quoi s’agit-il ? De la solution technologique probablement la plus coûteuse et la plus difficile, et pas forcément la plus écologique, mais qui apparaît aujourd’hui comme la seule solution politiquement acceptable. Le projet de « conduit de la paix » envisage de transférer les eaux de la mer Rouge à la mer Morte, d’où son appellation « Red-Dead ». Chaque année, 1,8 milliard de mètres cubes d’eau pourrait être acheminé depuis le golfe d’Aqaba jusqu’à la mer Morte, d’abord via un canal à ciel ouvert de 40 km de long puis par une large conduite sur les 120 km restants.Il faudra pour cela d’abord faire grimper l’eau depuis le niveau zéro de la mer jusqu’à 100 mètres de haut. Elle pourra alors dévaler un dénivelé de 500 mètres pour gagner la mer Morte. L’énergie qui pourrait être récupérée grâce à cette chute d’eau permettrait d’alimenter une usine de dessalement d’eau de mer censée produire 850 millions de mètres cubes d’eau potable qui seraient acheminés jusqu’aux sommets d’Amman (900 mètres d’altitude) et de Jérusalem (500 m). L’alimentation en eau de la Jordanie, d’Israël et des Territoires palestiniens est d’ailleurs l’objectif principal de « Red-Dead » avant que le reste des eaux vienne se déverser dans la mer Morte.Pour les promoteurs du projet, le fait que la mer Morte soit située sur l’une des failles géologiques majeures de la Méditerranée orientale ne constitue pas un handicap insurmontable. Le géologue Yann Klinger de l’Institut de physique du globe de Paris tempère les enthousiasmes : « Ce sera une contrainte lourde. » En effet des séismes importants s’y sont déjà produits, comme ceux de 1068 ou de 1202 ou celui, beaucoup plus récent, de 1995.Cette faille dite « de la mer Morte » ou « faille du Levant », qui court sur 1 200 km de long du golfe d’Aqaba jusqu’à la Turquie, est une zone de coulissage entre la plaque continentale Arabie qui remonte vers le Nord et la plaque Sinaï. La faille, qui bouge de 5 à 7 mm par an, marque sur sa route un décrochement. Entre les deux branches de la faille s’est formé un trou : la mer Morte. « Le canal Red-Dead longera la faille : il devra pouvoir supporter les secousses et déformations », insiste Yann Klinger.Quant à la mer elle-même, elle provoque de vives inquiétudes. De gigantesques crevasses apparaissent sur les berges mises à nu par la baisse de niveau des eaux. Le géologue israélien Eli Raz a recensé récemment 1 650 trous et crevasses, certains de plusieurs dizaines de mètres de profondeur. En 2000, une digue construite au sud de la mer pour créer un nouveau bassin de décantation de potasse s’est ainsi soudainement effondrée. Des pans entiers du littoral d’intérêt touristique sont, de ce fait, interdits au public.
Le sol est fragilisé par la forte teneur en sel des eaux« Les eaux de la mer Morte sont les eaux les plus salées du globe. Les sédiments sont saturés en eau salée, quand celle-ci se retire, les sédiments asséchés sont traversés par les eaux de pluie et cette eau douce dissout le sel. Le sol a alors besoin de se recompacter », explique Yann Klinger. Et le géologue de poursuivre : « Le mal est fait. » En effet à ses yeux, l’apport d’eau de la mer Rouge – qui, dans une version optimale n’interviendra pas avant une douzaine d’années – ne résoudra pas le problème mais le généralisera. « L’eau de la mer Rouge est beaucoup moins chargée en sel, le phénomène de dissolution du sel se poursuivra », explique-t-il.Son homologue israélien Eli Raz est lui aussi dubitatif. Il redoute que le projet Red-Dead soit au bout du compte plus préjudiciable que bénéfique pour l’environnement, que l’eau de mer chargée en sodium ne fasse pas un mariage heureux avec le milieu de la mer Morte, riche en magnésium et potassium. « Le meilleur plan pour la mer Morte, c’est de faire couler à nouveau le Jourdain, c’est son fonctionnement naturel », plaide-t-il, rejoignant ainsi le combat de l’ONG Les Amis de la Terre du Moyen-Orient, qui milite pour un sauvetage du Jourdain et l’inscription de ce site naturel et culturel d’exception sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.Un plan qui n’est absolument pas à l’ordre du jour alors que, dans cette région aride, la consommation d’eau dépasse chaque année la ressource renouvelable. « Il y aurait pourtant largement matière à économiser l’eau, même si Israël a développé un art inégalé du goutte-à-goutte pour l’irrigation, reconnaît François Mancebo. La population israélienne arrose sans compter. Elle recrée des simulacres de villes européennes avec gazons, terrains de golfs et plantations de palmiers, alors que le chêne méditerranéen est l’arbre naturel de la région, et les eaux usées ne sont ni traitées ni réutilisées. »Marie VERDIER***
Les eaux de la mer Rouge au secours de la mer Morte
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